Recherche: Ecoféminisme libertaire et technocritique



Recherche en épistémologie des sciences sociales et en philosophie sociale


Responsable de la recherche: Irène Pereira


Ressources sur le site de l’IRESMO:


Carnet de recherche: vie, féminisme et techno-critique


Carnet: Rapport social technocratique


Carnet: Petit observatoire de l'école du numérique


Problématique de la recherche:


Les anthropologues féministes matérialistes, telles que Paola Tabet, ont mis en relief la manière dont la division sexuée de la maîtrise des techniques a constitué une dimension de la construction des rapports sociaux de sexe.


Des travaux d’historiennes féministes, comme l’ouvrage de Barbara Ehrenreich et Deirdre English, Sorcières, sages-femmes et infirmières, ce sont également attaché à montrer comment l’avènement des techno-sciences à l’époque moderne a constitué une nouvelle étape dans la domination masculine. En effet, les savoirs-faire traditionnels développés par les femmes ont été disqualifiés au profit du discours et des techniques médicales scientifiques.


Les évolutions actuelles de la technique à l’ère du numérique peuvent amener également à s’interroger dans une perspective féminisme sur leur impact sur les femmes et plus largement sur la société. Il s’agit en particulier de s’interroger sous l’angle de la critique féministe sur le développement du techno-capitalisme.


Le techno-capitalisme apparaît comme une nouvelle étape dans une double logique présente dès le début de l’époque moderne de développement du capitalisme à l’aide des progrès des sciences et des techniques. C’est au nom de la maîtrise des sciences et des techniques qui l’idéologie de la bourgeoisie libérale des Lumières a justifié la légitimité de sa domination sur le monde extra-européen et sa disqualification du monde paysan. Pour sa part, le techno-capitalisme s’appuie sur une réduction de la nature à un ensemble d’éléments simples (atome, neurone, gêne, bit...) qu’il s’agirait de fusionner pour reconstruire la nature au service de la croissance capitaliste. Sur le plan social, l’idéologie techno-capitaliste transforme la société en une association d’individus consommateurs utilitaristes. L’idéologie transhumaniste du techno-capitalisme prétend à la naturalisation de l’inégalité sociale par la technique. Elle affirme possible de dépasser la crise écologique par les technologies vertes. Elle prétend pouvoir libérer l’être humain du travail par l’intelligence artificielle et la robotisation. Elle affirme possible d’orienter les décisions économiques et politiques par l’analyse algorithmique des big data. Elle aspire à la colonisation des existences par l’inter-connexion numérique. Le techno-capitalisme semble alors marquer un resserrement du maillage de la “cage d’acier” (Weber).


1) On peut ainsi se demander quel peut être l’impact sur la situation sociale des femmes d’une société où dominerait une culture technicienne informatique lorsque l’on sait actuellement que cette culture est très majoritairement professionnellement investie par les hommes. Cet impact doit être questionné en lien avec la socialisation des petites filles et des petits garçons où des éléments de différenciation sexuée en lien avec cette culture apparaissent précocement. Plus largement, cela conduit à s’interroger sur les places respectives d’une culture technicienne instrumentale dominée par le raisonnement logico-mathématique et une culture de la relation interpersonnelle liée à des compétences d’inter-compréhension verbale.


2) L’interrogation sur les rapports entre féminisme et technique conduit également à se pencher sur les controverses portant sur les liens entre certains courants du féminisme et le transhumanisme, ainsi que le soutien que ces courants peuvent apporter aux développement des biotechnologies. En effet, au nom de la déconstruction des genres et des sexes, certains courants tels que le cyberféminisme, le transféminisme, le féminisme cyborg ou encore le queer, peuvent défendre le recours aux biotechnologies. A l’inverse des tenants de la critique radicale de la technique peuvent en arriver à remettre en question la pertinence du constructivisme social et de la notion de genre. Or, il est possible au contraire de s’interroger sur les confusions qu’il existe entre plusieurs formes de constructivisme. Il serait ainsi peut être nécessaire de distinguer entre un contructivisme technologique et un constructivisme symbolique.


3) La question des rapports entre féminisme et technique à l’ère de l’automatisation et de l’intelligence artificielle pose la question du statut du travail du care. D’un côté, les machines sont évoquées pour remplacer un certain nombre d’activités effectuées par les êtres humains. Ces activités impliquent bien souvent une dimension de care: accueil, soin, enseignement… D’un autre côté, l’intelligence artificielle est mise au service de recherches visant à simuler les relations interpersonnelles de care par des robots compagnons. Se trouve ici interrogé dans un sens plus large la place de l’éthique du care et de l’empathie dans la constitution des sociétés contre une logique de l’utilitarisme économique.


4) La crise écologique conduit également à interroger l’avenir du “progrès” technologique. Une société de la transition écologique ne sera-t-elle pas conduite au contraire à devoir redonner une place plus importantes aux savoirs-faires issus du monde paysan et de l’économie domestique ? Dans ce cas, c’est de nouveau la place anthropologique du travail reproductif et du travail du care qui se trouve posée. En effet, le travail reproductif est celui qui vise à reproduire la vie, tandis que le travail du care est celui qui vise à la protéger. Le travail du paysan tout comme le travail domestique des femmes peut s’inscrire dans une telle logique de reproduction, de conservation et de soin. Cela conduirait alors à revaloriser la portée anthropologique du travail reproductif et du travail du care par rapport au travail productif ou encore le travail immatériel. En se posant en particulier la question du rôle social des femmes dans l’éducation, on est amené à interroger la place du travail du care dans la processus d’anthropisation. Le travail reproductif et du care pourrait alors être considéré comme par delà nature et culture (Descola): à la fois liée à la biologie et la fois toujours sujet à la variation culturelle.


A la différence du nominalisme ontologique du techno-capitalisme, l’écologie adopte une conception holistique du vivant qui se trouve présente dans la notion d’éco-système. Les êtres vivants se trouvent en relation d’interdépendance systèmiques. Les sociétés humaines s’inscrivent elles aussi dans la continuité de cet holisme biologique. En outre, la créativité sociale peut être considérée comme en continuité de la la créativité de la fécondité du vivant. Cela n’implique pas pour autant une réduction du social au vivant dans la mesure où le monde social est également institué par du symbolique à travers le langage humain. Cependant, le techno-capitalisme par la simulation cherche à s’approprier à son profit la vitalité créative du vivant et la créativité sociale interpersonnelle des sociétés humaines. De ce point de vue, le contrôle de la reproduction du vivant (à la fois le projet de sa création par la biologie de synthèse et de sa reproduction artificielle) constitue une étape dans le projet de bio-exploitation du vivant par le capitalisme. De ce fait, là encore le travail reproductif apparaît comme un enjeux central du techno-capitalisme.


Premiers travaux:


"Le fédéralisme européen: un projet encore pertinent face à l'urgence de la transition écologique  ?" - Une perspective éco-féministe -, Proudhon et l'Europe, Université de Tours, 6 novembre 2015.


« Féminisme et nature : la sociologie féministe peut-elle penser la question écologique ? - L'hypothèse d'un rapport social technocratique » -Congrès de l'AFS, RT.24, UVSQ, 29 juin-2 juillet 2015.


"Transhumanisme techno-capitaliste contre agro-communalisme libertaire - Essai d'anticipation philosophique -", Penser l'écologie n°2, Université Paris 7, 15-16 juin.