Politiques d’intégrité scientifique, déontologie et éthique de la recherche

 

 

Quelles différences entre les politiques d’intégrité scientifique, la réflexion éthique et les règles déontologiques ?

 

Genèse des comités d’éthique

 

Les comités d’éthique sont nés dans la continuité des procès des médecins de Nuremberg. Cela a conduit en particulier au premier comité d’éthique aux Etats-Unis le Comité Green.

 

Les Comités d’éthiques sont donc issus de problèmes relevant du champ de l’éthique médicale. Ils ont eu pour objectifs de réfléchir aux tensions entre le respect de la dignité de la personne humaine et les avancées de la recherche scientifique.

 

Le principe de dignité de la personne humaine s’est imposé relativement récemment comme un principe important du droit international et du droit de la bioéthique. Il est ainsi proclamé dans la Déclaration universel des droits humains (1948) : « Tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits » (art.1) à la suite de la Deuxième guerre mondiale.

 

Le vade-mecum sur l’intégrité scientifique précise : «  Il faut bien distinguer l’intégrité scientifique, c’est à dire les règles qui gouvernent la pratique d’une recherche honnête et intègre, de l’éthique de la recherche qui aborde de façon plus large les grandes questions que posent les progrès de la science et leurs répercussions sociétales. Les comités d’éthique, dont se sont dotés la plupart des organismes de recherche et plusieurs universités, sont des lieux de débat d’idées et d’opinions sur les finalités des recherches entreprises et les liens entre science et société » (2017).

 

Les politiques internationales d’intégrité scientifique

 

Un des textes fondateurs des politiques d’intégrité scientifique est la Déclaration de Singapour en 2010.

 

Le document de l’ANR intitulé « Politique en matière d’éthique et d’intégrité scientifique » met en lumière les enjeux des politiques d’intégrité scientifique : « La prolifération des publications scientifiques sur la scène mondiale liée à la concurrence grandissante entre les chercheurs pour obtenir la reconnaissance de leurs pairs et l’obtention de ressources financières accentue la pression des systèmes d’évaluation. La compétition de plus en plus vive demande une vigilance accrue pour éviter que le processus de saine compétition ne soit remplacé par une course à la reconnaissance et au financement ».

 

On peut ainsi interpréter les politiques d’intégrité scientifique comme la mise en œuvre de procédures qui visent à garantir la concurrence formellement libre et non-faussée sur le marché de la recherche scientifique internationale.

 

Il est intéressant d’y noter que les valeurs de la recherche scientifique y sont promues au nom d’enjeux économiques :

- plagiat : défense de la propriété intellectuelle (même si la propriété intellectuelle n’a pas qu’une dimension économique, mais aussi morale)

- falsification et manipulation de données : les risques mis en avant sont en particulier l’argent qui est perdu et les conséquences économiques que cela peut avoir lorsque les décideurs publics s’appuient sur des données faussées.

- conflit d’intérêts : alors que les scientifiques sont de plus en plus incités à mettre en œuvre des partenariat avec le monde économique.

 

D’une certaine manière, les politiques d’intégrité scientifiques peuvent apparaître comme la mise en place de procédures visant à palier des problèmes qui ont été intensifiés par la mise en œuvre de politiques néolibérales internationale dans la recherche.

 

La déontologie des métiers de la recherche

 

La déontologie définit les règles auxquels se soumettent les professionnels dans un domaine donné.

 

R.K. Merton dans « La structure normative de la science » distingue quatre valeurs qui caractérisent l’ethos scientifique : « - l'universalisme, le communisme, le désintéressement, le scepticisme organisé - ».

 

La recherche scientifique se caractériserait donc par un ensemble de valeurs qui orientent la déontologie du chercheur.

 

On peut dès lors s’étonner du préambule de la Charte nationale de déontologie des métiers de la recherche qui commence dans son préambule par : « Dans une société de la connaissance et de l’innovation marquée par l’accélération de la construction et de la transmission des connaissances, par la compétitivité internationale, les organismes et les établissements publics d’enseignement et de recherche occupent une place privilègiée pour contribuer à relever les défis actuels et futurs ». (2015)

 

En effet, l’étonnement peut naître du fait que la Charte de déontologie ne se réfaire pas en son préambule aux valeurs qui assurent l’indépendance et la dignité du métier de chercheur, mais davantage aux enjeux qui permettent de produire une science intègre dans le cadre de la compétition internationale.

 

Or on aurait pu plutôt s’attendre à ce que la charte de déontologie mette en avant les valeurs de la science dans son rapport au bien de l’humanité, à la dignité de la personne humaine comme le font d’ailleurs un certain nombre d’autres codes ou charte de déontologie.

 

Il est possible à cet égard de comparer avec la « charte éthique et déontologique des facultés de médecine : « Les facultés de médecine et d’odontologie fondent l’ensemble de leurs activités sur les valeurs universelles qui inspirent le respect des Droits de l’Homme, la dignité de la personne humaine, et la solidarité. Les Facultés partagent également les valeurs fondamentales de l’Université : exigence, indépendance, humanisme, promotion de la pensée critique, ouverture sur la société ». (2017)

 

Conclusion : La déontologie de la recherche à l’épreuve de la domination de la raison instrumentale

 

Plusieurs point sont à craindre dans le moment actuel d’internationalisation de la concurrence en matière de recherche scientifique concernant la déontologie des métiers de la recherche :

- le premier c’est que la déontologie des métiers de la recherche ne soit plus pensée qu’en lien avec les politiques internationales d’intégrité professionnelle et sans référence avec une réflexion sur l’éthique scientifique.

- la seconde crainte possible, c’est que la déontologie et l’intégrité professionnelle, en écartant la réflexion éthique, se limite à l’édiction de règles formelles qui ne peuvent palier une absence de réflexion sur les enjeux des avancées scientifiques.

 

En détachant la déontologie professionnelle des métiers de la recherche d’une réflexion éthique, on court les risques de réitérer les difficultés mêmes qui ont conduit à la naissance des comités d’éthique. Les codes de déontologie n’ont pas suffit à régler les problèmes que posent l’avancée des recherche scientifique. De même, les politiques d’intégrité scientifiques, s’inscrivant dans le cadre d’une conception néolibérale de la recherche, orientée vers l’efficacité économiques, ne peuvent suffire à garantir les finalités humanistes de la recherche scientifique. Enfin, les règles formelles bureaucratique ne sauraient tenir lieu de conscience morale aux scientifiques. Il arrive que d’ailleurs l’éthique professionnelle conduise à devoir s’opposer aux règles juridiques par une autorité légale.

 

Bibliographie :

 

ANR, « Politique en matière d’éthique et d’intégrité scientifique » - https://anr.fr/fileadmin/documents/2014/Politique-ethique-integrite-scientifque-aout-2014.pdf

 

Charte éthique et déontologique des facultés de médecine et d’odontologie (2017) - http://unice.fr/faculte-de-medecine/contenus-riches/documents-telechargeables/doc_faculte/V3_Charte_facultes_medecine_odontologie_2017.pdf

 

Charte nationale de déontologie des métiers de la recherche (2005) - https://www.cnrs.fr/comets/IMG/pdf/charte_nationale__deontologie_signe_e_janvier2015.pdf

 

Code de conduite européen pour l’intégrité en recherche - https://allea.org/wp-content/uploads/2018/01/FR_ALLEA_Code_de_conduite_europeen_pour_lintegrite_en_recherche.pdf

 

Déclaration de Singapour sur l’intégrité en recherche (2010) - https://www.inserm.fr/sites/default/files/2017-08/Inserm_declarationSingapourIntegriteRecherche_2010.pdf

 

Demarez, J. P. (2008). De Nuremberg à aujourd’hui-Les «Comités d’éthique» dans l’expérimentation humaine. médecine/sciences, 24(2), 208-212.

 

Ethique et intégrité scientifique - http://fr.ethics-and-integrity.org/?tag=ofis

 

Halioua, Bruno. Le procès des médecins de Nuremberg. L’irruption de l’éthique biomédicale. ERES, 2017

 

Merton R.K., La Structure normative de la science. Texte traduit sur : http://traductionlibre.over-blog.com/2017/08/la-structure-normative-de-la-science-par-robert-king-merton.html

 

MOOC Intégrité scientifique (Université de Bordeaux) - https://www.fun-mooc.fr/courses/course-v1:ubordeaux+28007+session01/about

 

Rapport Corvol (2016) - https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Actus/84/2/Rapport_Corvol_29-06-2016_601842.pdf