Conflits de valeurs et souffrance éthique chez les enseignants

 

 

Les métiers de service public, tels que les métiers de l’enseignement, sont des métiers qui impliquent des valeurs et non pas seulement la recherche du profit. De ce fait, les salariés sont plus spécifiquement exposés à un risque de souffrance éthique.

 

La souffrance éthique au travail des enseignants va être plus particulièrement générée par le conflit entre des valeurs liées à leur mission de service public et les moyens qui leurs sont donnés pour les réaliser. Ces conflits de valeurs peuvent en outre s’accentuer par le fait que les enseignants peuvent se trouver également mis en conflit avec des valeurs provenant du droit du travail et de l’éthique syndicale ou encore du fait qu’ils se trouvent mis en situation d’épuisement professionnel par surtravail.

 

Manque de moyens et souffrance éthique au travail des enseignants

 

Par exemple, les enseignants peuvent se trouver face à des situations professionnelles qui posent un certain nombre de problèmes éthiques :

 

- On va demander à l’enseignant, après un congé maladie, de rattraper ses heures car sinon les élèves ou les étudiants vont être en difficultés pour réussir leurs examens ou leurs concours…

 

- Les enseignants vont hésiter à user de leur droit syndical (ex : droit à la formation, droit de grève…) car ils vont avoir mauvaise conscience de ne pas assurer les cours aux étudiants ou aux élèves. Et ainsi de les pénaliser. D’ailleurs, cet argument est souvent utilisé pour essayer de culpabiliser les grévistes.

 

- Dans le supérieur, on va demander aux enseignants titulaires d’avoir recours à des vacataires pour assurer des heures qui manquent. Mais en même temps, on sait que les vacataires ont beaucoup de mal à se faire payer et que c’est un statut très problématique juridiquement…

 

- Dans le supérieur, les chercheurs/ses manquent de moyens et tendent à se trouver face à un conflit éthique qui consiste à avoir recours à du travail gratuit. De fait le monde de la recherche construit sur l’éthique de l’amour désintéressé du savoir en arrive à exiger de ses membres les plus vulnérables que cela se traduise par un désintéressement qui aille jusqu’au travail gratuit.

 

On pourrait trouver encore bien d’autres exemples…

 

Ethique de la critique et souffrance éthique au travail

 

L’éthique de la critique a été développée dans le sillage de l’oeuvre de l’école de Francfort et du pédagogue Paulo Freire. La particularité de l’éthique de la critique par rapport aux autres courants des recherches en éthique est de s’interroger sur les conditions institutionnelles et sociales des problématiques éthiques : là en l’occurrence des conflits de valeur au travail, de la souffrance éthique au travail…

 

En l’occurrence, il est possible de constater que la souffrance éthique dans le travail enseignant se développe en lien avec trois logiques conjointes :

 

- Le néolibéralisme et la pénurie de moyens dans le service public : celle-ci conduit à mettre en œuvre des pratiques contraire à l’éthique professionnelle ce qui est source de souffrance au travail. Si l’enseignant s’y refuse et tente de résister à cette logique, il risque de se trouver en situation d’épuisement professionnel.

L’orientation néolibérale de l’économie conduit à une remise en question du modèle social proclamé dans le préambule de la constitution de 1946 qui visait la reconnaissance de droits sociaux. Au contraire, il s’agit d’essayer de soumettre à la logique marchande, ce qui relevait de la logique de service public.

 

- La domination de la rationalité instrumentale : Celle-ci se manifeste dans le Nouveau management public et dans l’enseignement supérieur et la recherche, toute la logique d’évaluation et de classements internationaux. Les modalités du travail sont transformées pour les soumettre à des processus de rationalisation technique. Le plus grave est alors que ces processus conduisent à une perte de sens de l’activité professionnelle et de ce qui constitue son éthique.

 

- le technolibéralisme (Eric Sadin) : Le technolibéralisme, qui se caractérise par l’imposition du numérique dans l’enseignement, conjoint plus particulièrement ces deux dimensions. Il introduit des logiques marchandes au sein de la fonction publique par des partenariats économiques avec des entreprises privées. Il soumet les salariés à des procédures techniques qui impliquent un contrôle sur leur travail et la manière de l’exécuter.

 

Conclusion :

 

La question de la souffrance au travail dans la fonction publique a cette spécificité d’être en particulier liée avec des conflits de valeurs éthiques en relation avec les missions de service public exercées par les salariées.

Mais ces conflits de valeurs éthiques au travail doivent être pour être analysé replacé dans un ensemble de transformation du travail au sein de la fonction publique qui conduisent à mettre en tension les mission d’intérêt général des enseignants avec des logiques de marchandisation et de domination de la rationalité instrumentale. Ce qui veut dire avec des processus profond de réification au travail.