Vers une écopédagogie radicale (II)

 

(Lire le texte (I))

 

Activités de conscientisation

 

 

L’écopédagogie radicale, telle qu’elle est pensée ici, l’est à partir du Nord Global. Elle se donne pour objectif la conscientisation de personnes socialement privilégiées vivant selon les standards de vie du Nord Global (sachant que le Nord a aussi ses Sud).

 

A) Ecopédagogie des controverses

 

Cette activité de conscientisation repose sur la pédagogie des controverses. En effet, analyser les controverses en écologie permet de mieux en comprendre leurs enjeux et leurs implications, évitant ainsi par exemple le confusionnisme avec certaines thèses d’extrême-droite qui récupèrent des thèses écologistes. Un autre danger étant le capitalisme vert, à savoir la récupération des thèses écologistes par le néolibéralisme. 

 

L’activité se déroule en organisant des groupes de trois. Chaque groupe est composé de deux débatteurs/trices et d’un-e observatrice.  L'observatrice/teur veille au bon déroulement de la discussion. Il est bienvenu que les rôles tournent durant la séance.

 

Chaque débatteur/trice reçoit une carte qui présente une position et la limite de la position adverse à la sienne. Les débatteurs/trices doivent défendre par l’argumentation chacun une des positions sur la carte. Ils ou elles ne sont pas obligé-e-s de se restreindre dans les objections à la limite proposée par la carte.

 

B) Ecopédagogie : phase dialogique

 

Voici un exemple de ce que peuvent être les textes de présentation distribués aux débatteurs/trices et les thématiques abordées. Il est possible d’ajouter d’autres thématiques de discussions :

 

1) Ethique anthropocentrée/éthiques environnementales

 

a) éthiques anthropocentrées : elles défendent la valeur absolue de la dignité humaine qui ne doit être sacrifiée sous aucun prétexte à des intérêts qu’ils soient économiques ou autres.

 

- Limite : elles ne prennent pas en compte la valeur morale des animaux ou des êtres vivants en général.

 

b) éthiques environnementales : elles permettent d’accorder du respect et de la considération morale aux animaux, voir plus largement aux être vivants ou à la nature.

 

- Limite : elles risquent de justifier de sacrifier la vie de certains êtres humains, voir de l’espèce humaine, pour pouvoir sauvegarder la nature ou d’autres espèces vivantes.

 

2) Naturalisme ou constructivisme social :

 

a) Le naturalisme : affirme que l’être humain fait partie de la nature. Il est un animal parmi d’autres animaux.

 

- Limite : risque de naturaliser des différences qui sont peut-être en réalité sociales comme la différence des sexes, les normes sexuelles…

 

b) Le constructivisme social : affirme que les inégalités entre hommes et femmes ou encore les normes de genre sont des constructions sociales.

 

- Limite : Mais alors comment penser le fait que l’être humain est aussi un être naturel, si tout n’est que construction sociale ?

 

3) Origine : l’humanité ou le capitalisme ?

 

a) L’humanité : cette thèse met en avant que l’espèce humaine a déjà connu des effondrements écologiques avant le capitalisme et qu’elle a été aussi à l’origine d’extinctions d’espèces animales.

 

- Limite : elle semble faire peser la responsabilité sur l’ensemble de l’humanité : mais les personnes de milieux populaires, en particulier des pays du Sud, sont elles responsables des dégradations de l’environnement comme les grandes entreprises capitalistes ?

 

b) Le capitalisme : l’origine des dégradations environnementales se trouve dans le développement du système capitaliste.

 

- Limite : est-ce que l’espèce humaine n’a pas pratiqué des dégradations de l’environnement avant le système capitaliste ?

 

4) La technique moderne : aliénation ou libération ?

 

a) La technique moderne est libératrice : les progrès de la technique pourrait nous aider à lutter contre les problèmes écologiques.

 

- Limite : la technique moderne n’est-elle pas déjà le problème qui est à l’origine des dégradations écologiques ?

 

b) La technique moderne est aliénante : C’est la technoscience qui par son développement a conduit aux dégradations de l’environnement. On ne peut donc pas compter sur les progrès de la technique moderne pour aider l’être humain à faire face aux problèmes écologiques.

 

- Limite : peut-on vraiment imaginer une autre science que la science moderne ? Peut-on totalement rejeter la technique moderne ? N’a-t-elle pas été aussi facteur de progrès humains ?

 

5) Solutions : actes individuels ou transformations systémiques ?

 

a) Solutions individuelles : Il est nécessaire que chacun prenne ses responsabilités individuelles en changeant sa manière de vivre et ses modes de consommation .

 

- Limite : les actes individuels ne servent pas à grand-chose. Les problèmes écologiques sont liés avant tout à des causes systèmiques liées : à l’organisation du mode de production économique, au développement de la technique moderne…

 

b)Transformations systèmiques : Les solutions écologiques ne peuvent pas être individuelles. Elles supposent une transformation profonde des structures sociales.

 

- Limite : L’appel à une transformation systémique dédouane d’opérer un changement de ses modes de vie et de consommation individuelle. Cela risque de repousser aux calendes grecques les changements immédiats.

 

6) Solution : limitation de la démographie ou liberté d’avoir des enfants ?

 

a) Limitation de la démographie : La Terre possède des ressources limitées. Elle ne peut pas supporter une croissance indéfinie de la population.

 

- Limite : est-ce que cette limitation de la population ne risque-t-elle pas de prendre la forme d’un écofascisme colonial ciblant les populations du Sud Global ?

 

b) Liberté d’avoir des enfants : C’est respecter les libertés individuelles de faire en sorte que chacun puisse avoir des enfants s’il le souhaite.

 

- Limite : est-ce que l’on ne tombe pas dans une croyance à la toute puissance du choix et des désirs individuels qui est en réalité un avatar du libéralisme économique. Est-ce qu’une société écologique n’implique pas au contraire le sens des limites ?

 

7) Solution : autoritaire ou démocratique ?

 

a) Solution autoritaire : Face à l’urgence écologique et à la complexité des problèmes, nous n’avons pas le temps de convaincre toute la population et de prendre des décisions démocratiques. Il faut confier le pouvoir à des experts des questions écologiques.

 

- Limite : cette solution aboutie à remettre en question les valeurs démocratiques et pourrait ouvrir la porte à une atteinte aux droits de certains groupes sociaux.

 

b) Solution démocratique : Les décisions concernant les mesures à prendre pour mettre en œuvre une société écologique doivent faire l’objet de décisions démocratiques.

 

- Limite : la concertation démocratique est peut-être une belle chose, mais elle prend beaucoup de temps. Or nous n’avons peut-être pas ce temps à disposition...

 

 

8) Qui est le sujet politique de l'écologie politique ? Les humains ou la nature

 

 

a) La nature:  le sujet politique de l'écologie est la nature car c'est la nature dans son ensemble qui subie des dégradations.

 

- Limite: mais la nature ne peut pas se défendre elle-même. En définitif ce sont des êtres humains  qui défendent la nature.

 

b) Les humains:  Les luttes écologiques sont menées par des humains. Or l'émancipation ne peut venir que d'un groupe qui lutte pour sa propre émancipation. Donc le sujet politique de l'écologie n'est pas la nature, mais l'humain.

 

- Limite: Néanmoins par rapport à d'autres luttes (comme le racisme, le sexisme...), l'écologie politique incorpore dans sa lutte des non-humains. 

 

C) Ecopédagogie : « synthèse culturelle »

 

A l’issue de chaque mini-débats, les animateurs/trices des ateliers propose une phase de tentative de « synthèse culturelle ». Pour cela, il est possible de s’appuyer sur des textes d’auteurs ayant déjà réfléchi à ces questions.

 

On peut par exemple distribuer des extraits des œuvres de Murray Bookchin :

Compilation de textes de Murray Bookchin

 

D) Ecopédagogie: Activité à partir d'une dystopie

 

Exemple de dystopie:

 

Dans le futur, le monde est dirigé par le gouvernement autoritaire de l’élite technocapitaliste. Il a été mis en place par les élites capitalistes pour permettre la survie de l’humanité face aux problèmes écologiques. Pour maintenir le très haut niveau de vie et de consommation de l’élite technocapitaliste, le gouvernement mondial a pris des mesures drastiques de régulation des populations du Sud Global. Pour les justifier, il a mis en place, la religion techno-naturelle. Cette religion affirme que la nature impose des rôles différents aux hommes et aux femmes. La sexualité doit être uniquement hétérosexuelle car la nature en a décidé ainsi. La religion techno-naturelle affirme qu’il est possible de dépasser la mort et de gagner l’éternité par la technologie. Cette technologie transhumaniste est réservée à l’élite technocapitaliste. Un groupe de résistants s’oppose au gouvernement mondial de l’oligarchie technocapitaliste. Quelle conception de l’écologie politique défendent-ils ?

 

Consignes:

 

Il y a deux groupes de participants. Ils ont chacun un temps de préparation. 

 

Le premier groupe est celui qui défend la conception de l’écologie politique des résistants.

 

 

Le deuxième groupe est celui des sceptiques. Ils ne sont pas d’accord avec le gouvernement de l’élite technocapitaliste. Mais leur rôle est de trouver de contre-arguments pour voir si la proposition des résistants tient la route.  

 

 

Références :

 

Virginie Albe, « L’enseignement de controverses socioscientifiques », Éducation et didactique, vol 3 - n°1 | 2009, 45-76.

 

Irène Pereira, Les grammaires de la contestation, Pari, La Découverte, 2010.

 

 Irène Pereira, Le pragmatisme critique, Paris, L’Harmattan, 2016.