Qu’est-ce que l’agir éthique en pédagogie critique ?

 

La pédagogie critique se distingue d’autres approches pédagogiques en ne mettant pas au coeur de son projet une approche technicienne, mais un agir éthique.

 

 

Retour sur l’origine de l’agir technique et de l’agir éthique

 

Dans l’Antiquité grecque, les philosophes comme Aristote distinguent la poiesis et la praxis. La poiésis, c’est l’agir technique. Dans l’agir technique, ce qui a de la valeur, c’est la finalité. Dans ce cas, tous les moyens sont bons pour arriver à un résultat du moment que cela est efficace.

 

La notion de praxis désigne l’action qui a sa finalité en elle-même. Il s’agit d’une action qui est désirable pour elle-même car en elle l’être humain s’accomplit. Par exemple pour Aristote, la politique ou la philosophie sont des praxis.

 

Pour Paulo Freire, l’éducation, comme le travail chez Marx, est une praxis, au sens où il s’agit d’une activité par laquelle l’être humain réalise sa vocation au « plus être », c’est-à-dire par laquelle il s’humanise.

 

Afin de perfectionner leur capacité à agir comme des êtres humains accomplis, les philosophes de l’Antiquité greco-romaine mettent en œuvre des exercices qui leurs permettent de développer des vertus.

 

Dans l’Antiquité, philosopher n’est pas uniquement un discours, c’est plus encore pour plusieurs écoles de philosophie une manière de vivre : les épicuriens, les cyniques ou encore les stoïciens vivent conformément à leur philosophie.

 

La vertu est définie par Aristote comme : « une disposition acquise de la volonté [habitude], consistant dans un juste milieu relatif à nous, lequel est déterminé par la droite règle et tel que le déterminerait un homme prudent » (1106 b 36).

 

Parmi ces vertus, l’une d’elle est la prudence (phronésis) : « « disposition pratique accompagnée de règle vraie concernant ce qui est bon et mauvais pour l’homme » (Aristote).

 

L’homme prudent est celui qui sait bien agir en situation. Et s’il a cette vertu d’agir correctement quand il le faut, c’est qu’il s’est entraîner pour acquérir cette vertu.

 

Ref :

Hadot Pierre, La philosophie comme manière de vivre

Aristote, L’éthique à Nicomaque.

 

L’agir éthique enseignant

 

Une des difficultés de la pédagogie critique, c’est qu’elle ne porte pas sur l’agir technique en éducation (que l’on appellera plutôt la didactique), mais sur l’agir éthique.

 

L’éthique des vertus constitue un des courants de la philosophie éthique qui est mobilisée en éducation. Il s’agit alors de s’intéresser non pas aux techniques que l’enseignant doit savoir maîtriser pour enseigner, mais aux vertus qu’il doit développer.

 

Pour comprendre cela, prenons une situation d’interaction dialogique dans la salle de classe entre un-e enseignant et des élèves.

 

Si la relation d’enseignement se réduit à un agir technique, alors les interactions entre l’enseignant et les élèves se réduisent à des techniques qu’il ou elle aura acquise pour parler aux élèves. Pour le dire autrement, la pédagogie pourrait alors être assimilée et réduite à des techniques de communication ou encore de gestion de comportement, à des techniques de management du travail… Il s’agit alors en particulier de trouver les techniques les plus efficaces qui marchent avec les êtres humains et pour cela, on peut faire appel à la psychologie scientifique capable de produire de telles techniques.

 

A l’inverse imaginons, maintenant que l’enseignant ou l’enseignante lorsqu’elle interagit avec les élèves s’exerce à faire preuve d’ouverture d’esprit, d’écoute, de respect… Dans ce cas, nous ne sommes plus dans un agir technique, mais dans un agir éthique. Il s’agit alors pour l’enseignant-e de mettre en œuvre des vertus qu’elle/il acquiert par l’exercice et l’habitude.

 

L’éthique des vertus en pédagogie critique

 

Pour illustrer ce qu’est l’éthique des vertus en pédagogie critique, il suffit de prendre le dernier livre publié de son vivant par Paulo Freire, Pédagogie de l’autonomie.

 

Il est possible de repérer dans les intertitres plusieurs vertus qui seraient celles d’un enseignant critique selon Paulo Freire : la rigueur méthodologique, posture de chercheur, la curiosité, la cohérence, la réflexivité, bon sens, humilité, tolérance, générosité, l’ouverture d’esprit, la bienveillance, le courage de ses opinions….

 

Le juste milieu que suppose la vertu d’enseignement apparaît en particulier lorsqu’il s’agit de trouver une posture démocratique qui soit le juste milieu démocratique.

 

Conclusion :

 

La didactique critique en pédagogie critique s’intéresse aux outils techniques qui peuvent permettre de développer le degré de conscientisation. Celle-ci est la finalité de tout enseignement à savoir que tout enseignement pour Paulo Freire doit contribuer à développer une littératie critique («une lecture critique du monde ») . Le développement de la critical consciousness (la conscience critique) peut même faire l’objet d’une évaluation avec des tests standardisés.

 

Mais la pédagogie critique est autre chose que la didactique critique. La pédagogie critique cherche à développer un agir éthique qui repose sur deux dimensions : le respect des apprenants et sur le fait de exercer en tant qu’enseignant à acquérir des vertus qui permettent d’agir de manière éthique.

 

Cette insistance sur l’agir éthique en pédagogie critique. n’est pas propre à Paulo Freire, on la retrouve également dans la trilogie pédagogique de bell hooks.

 

Ref :

Eirick Prairat, Le tact en éducation

Paulo Freire, Pédagogie de l’autonomie.