Enseigner par la discussion critique

 

 

Plusieurs travaux se sont intéressés à la place de la discussion comme vecteur spécifique d’enseignement. C’est un point qui a été développé dans les littérature anglo-saxonne plus que dans la littérature française.

 

A partir de la lecture de trois auteurs – Johana Hawken, Marie-France Daniel, et Stefen Brookfield-, on s’est attaché à distinguer des règles que semblent supposer l’usage de la discussion dans l’enseignement.

 

La discussion peut avoir sa place en particulier dans l’Enseignement Moral et Civique (EMC), en formation des adultes ou dans d’autres contextes d’enseignement encore...

 

Objectifs et limites de la discussion :

 

- La discussion est souvent une pratique qui est mise en œuvre lorsqu’il s’agit de développer chez les élèves/étudiants des capacités de réflexivité, de pensée critique ou des compétences relationnelles liées à l’écoute de l’autre.

 

- Il est possible de souligner néanmoins certaines limites de l’approche par discussion :

a) elle n’est pas appropriée à la transmission de contenu ce qui veut dire que cela suppose une thématique sur laquelle il n’est pas nécessaire d’avoir de connaissances particulières ou sur lesquels les apprenants ont déjà été formés. Néanmoins, la lecture de textes auparavant peut aider à limiter ce problème.

 

b) Grand groupe/petit groupe : a) L’avantage des petits groupes c’est qu’ils peuvent faciliter la prise de parole de plus de participant-e-s. b) L’avantage du grand groupe c’est qu’il permet la présence de l’enseignant-e qui anime la discussion qui peut donc aider à l’avancée de la discussion.

La combinaison de phases en petits groupes et grands groupes peut aider à limiter ce problème.

 

Remarques : « Principes d’un bon débat » selon Brookfield

 

Utiliser la discussion est appropriée seulement lorsque :

a) plusieurs perspectives sur le contenu sont possibles

b) lorsque des applications de la discussion à la vie réelle sont possibles

c) quand les élèves/étudiants maîtrisent déjà le contenu

d) quand la discussion est réellement ouverte

 

Organisation des discussions :

 

1) L’avant discussion collective :

 

Plusieurs auteurs s’accordent sur le fait que pour qu’il y ait une meilleure participation de tous/tes, il est préférable avant la discussion :

- ou : de faire lire un texte aux participantes

- et/ou : de laisser un temps de réflexion individuel

- et/ou : de passer par un temps de réponse personnelle écrite.

 

2) Organisation du groupe :

 

Il existe plusieurs modes d’organisation du ou des groupes de discussion :

- Petits groupes : un petit groupe contient de 4 à 8 personnes

- Groupes moyens : 8 à 15 personnes

- Grand groupe : il s’agit en général de groupe entre 15 et 25 personnes

- Boule de neige : réflexion individuelle, puis une première discussion est organisée avec un groupe de 2 ou 4 personnes, puis ce premier groupe s’agrège à un autre groupe de 2 à 4 personnes durant un deuxième moment de discussion ce qui fait 8 personnes, et ainsi de suite jusqu’à ce que l’on se retrouve en plénière. A chaque fois chaque, groupe restitue les points principaux de la discussion précédente.

 

Questionnaire pour le passage de petits groupes en grand groupe :

Quel était le point le plus important soulevé dans la discussion en petit groupe ?

Quel était le plus déroutant soulevé dans la discussion en petit groupe ?

Quel nouvel apprentissage a eu lieu dans la discussion en petit groupe ?

Sur la base de votre discussion en petit groupe, quelle idée pensez-vous qu'il serait bon d'explorer de manière plus approfondies lors de la prochaine phase de discussion en grand groupe ?

(Questionnaire établi par Brookfield)

 

3) La régulation des interactions

 

Plusieurs auteurs s’accordent aussi sur le fait qu’il faut réguler les prises de parole de manière à ce que plus de personnes puissent s’exprimer et que les rapports sociaux de pouvoir soient atténués. Plusieurs règles, parmi celles-ci, peuvent être mises en place :

- tours de parole

- liste quebecoise : priorité aux personnes qui n’ont pas encore parlé

- tour de table : chaque personne intervient à tour de rôle pour donner son point de vue ou faire un commentaire sur ce qui a été dit avant.

- limitation du temps d’intervention (1 min, 2 min…)

- lorsqu’une personne a pris la parole, elle ne peut pas reprendre la parole avant trois autres interventions (utilisable lorsque certaines personnes parlent trop).

 

Il est possible de combiner les règles entre elles selon le déroulé de la discussion : par exemple avoir un système de tour de parole, mais lorsque l’on s’aperçoit que certaines personnes ne prennent pas la parole proposer un tour de table lors de certains moments de discussion.

 

Une personne peut être chargée spécifiquement, en dehors de l’animateur/trice, du respect des règles de prise de parole. Il généralement difficile d’animer la discussion et de faire respecter les règles. Il peut y avoir également une personne qui a pour rôle de veiller au caractère respectueux et serein des échanges.

 

L’idéal est, selon Brookfield, de construire les règles avec les participants.

 

4) Rôle de l’animateur/trice de la discussion :

 

Les auteurs s’accordent sur le fait que la dimension importante dans l’activité de l’animation de discussion, ce sont les questions. L’animateur/trice pose des questions qui visent à approfondir la discussion. Cette importance accordée au questionnement est présent dès l’Antiquité avec la méthode dialogique socratique.

 

- L’animateur/trice peut effectuer des interventions demandant aux participants : de clarifier le propos, de justifier leur affirmation, effectuer des interventions de synthèse, poser des questions sur le « comment » ou le « pourquoi »...

 

- L’animation peut viser :

- le développement de la pensée critique dialogique (égocentrique → relativiste → intersubjectif (Marie-France Daniel))

- la conscientisation : le passage de la conscience individuelle à la conscience sociale -(Freire)

 

Attribuer des rôles peut favoriser le processus critique dans la discussion en petit groupes comme l’un qui joue « l’avocat du diable » qui cherche à remettre en cause les évidences des participantes, le « détective » qui cherche à comprendre les faits, « le scientifique » qui cherche à comprendre les causes... 

 

L’avis de l’animateur/trice : il arrive que les participant-e-s à la discussion demandent à l’animateur/trice son avis. Une manière de faire, cela peut consister à leur proposer trois options et de leur demander laquelle est celle de l’animateur/trice et pourquoi selon eux.

 

5) L’auto-évaluation de la participation aux discussions :

 

Il peut être nécessaire dans le cursus d’évaluer les moments de discussion. Ce qui est évalué peut porter sur : a) des compétences conversationnelles (ex : savoir écouter l’autre) b) des compétences critiques c) la capacité à réutiliser des connaissances vues en cours ou dans des lectures durant la discussion.

 

Brookfield accorde 20 % de la note à la qualité de la participation aux discussions en formation d’adulte. Participer à la discussion ne consiste pas nécessairement à prendre le plus la parole et à faire les commentaires les plus brillants. Mais cela peut comprendre des éléments tels que :

- savoir écouter les autres

- poser une question qui encourage d’autres à participer

- faire des contributions, y compris critiques, qui aident à l’avancée de la discussion

 

L’évaluation peut passer par une auto-évaluation réflexive par l’élève/l’étudiant :

- Par quelles idées, questions ou informations j’ai contribué à la discussion aujourd’hui ?

- Comment j’ai essayé d’encouragé un-e autre participante à la discussion aujourd’hui ?

- Qu’ai je appris de la discussion aujourd’hui ? (nouvelle information, nouvelle compréhension de quelque chose, une nouvelle idée que j’ai eu grace à la discussion….)

- Comment ai-je établi des liens entre les idées que différentes personnes ont dit aujourd’hui ?

(Questionnaire établi par Brookfield)

 

Conclusion : Les chances que le débat fonctionne sont augmentées, selon Brookfield, lorsque :

 

- Lorsque les règles de la discussion ont été construites avec les participant-e-s

- Lorsque vous distribuez des critères et des indicateurs de participation à l’évaluation (ex : questionnaire d’auto-évaluation)

- Lorsque la discussion n’a lieu qu’après un travail de lecture et d’écriture de la part des élèves et des étudiants. La discussion peut commencer par exemple un fois que chacun a lu aux autres ses réflexions sur le sujet.

- Lorsque l’animateur/trice modélise elles-mêmes les comportements qu’elle attend des participant-e-s.

- Lorsque l’animateur/trice utilise des techniques spécifiques d’animation comme par exemple d’attribuer des rôles aux participant-e-s.

- Lorsque la discussion se termine en synthétisant les questions posées par la discussion plutôt que par des réponses.

 

(Pour améliorer le processus, il est possible en outre, d’utiliser le Questionnaire d’incident critique, qui consiste à poser des questions aux étudiants sous formes anonyme pour comprendre ce qui a posé problème durant la séance ou au contraire s’est bien passé).

 

Bibliographie :

 

Brookfield, Stephen D., and Stephen Preskill. Discussion as a way of teaching: Tools and techniques for democratic classrooms. John Wiley & Sons, 2012.

(voir : http://static1.squarespace.com/static/5738a0ccd51cd47f81977fe8/t/5750ef4862cd947608165d85/1464921939855/Discussion_as_a_Way_of_Teaching_Packet.pdf )

 

Bouchard, Nancy, and Marie-France Daniel, eds. Penser le dialogue en éducation éthique. PUQ, 2010.

 

Hawken, Johanna. Philosopher avec les enfants: enquête théorique et expérimentale sur une pratique de l'ouverture d'esprit. Diss. Université Panthéon-Sorbonne-Paris I, 2016.

 

(Video illustrant la pratique de Johanna Hawken:

https://www.youtube.com/watch?v=Mf2j-9JeAzA )