L’éthique dans Pédagogie de l’autonomie de Paulo Freire

 

 

Il est possible de considérer que Pédagogie de l’autonomie se présente comme un ouvrage sur l’agir éthique en éducation. L’ouvrage de Paulo Freire mentionne plus de 150 fois le terme éthique.

 

Un sous-bassement d’anthropologie philosophique

 

Premier point, l’ouvrage s’appuie sur une certaine conception de l’être humain qui détermine une certaine conception de l’éducation. C’est relativement à cette anthropologie qu’est pensé l’éthique de l’enseignement :

 

« ma compréhension de l’homme et de la femme en tant qu’êtres historiques et inachevé » 

 

« En vérité, l’incomplétude de l’être est propre à l’expérience vitale. Là où est la vie est l’inachèvement. Mais celui-ci ne devient objet de la conscience que parmi les femmes et les hommes. »

 

« Les femmes et les hommes deviennent éducables dans la mesure où ils sont reconnus inachevés. Ce ne fut pas l’éducation qui rendit les femmes et les hommes éducables, mais la conscience de l’incomplétude qui engendra leur éducabilité. »

 

« J’aime être homme, un être humain, parce que je sais que mon passage par le monde n’est pas prédéterminé, préétabli. Je sais que mon « destin » n’est pas un donné mais bien quelque chose qui nécessite d’être fait et que je ne peux pas me soustraire à ma responsabilité. »

 

« Femmes et hommes, êtres historico-sociaux, nous sommes devenus capables de comparer, valoriser, intervenir, choisir, décider, rompre ; par tout cela, nous nous sommes faits êtres éthiques. »

 

Cette anthropologie philosophique est importante pour Paulo Freire, car elle conduit à distinguer le dressage, la programmation et l’éducation. Il n’est pas possible simplement de mettre en œuvre des techniques efficaces, il est nécessaire de tenir compte de la nature morale de l’être humain, et non pas seulement de sa nature biologique. L’être humain est un être éthique, cela veut dire qu’il est un être doté d’une conscience morale, ce qui le rend également capable de transgresser l’éthique, donc de liberté et de responsabilité.

 

La pédagogie comme praxis et non comme poiésis : l’agir éthique

 

Néanmoins, pour un ouvrage de pédagogie, on y trouve aucune méthode ou technique qui est décrite et développée.

 

Cela s’explique par le fait que l’ouvrage constitue une réflexion sur la praxis et non sur la poièsis. Il s’agit de déterminer comment « bien agir » lorsqu’on est enseignant et non pas comment agir en mettant en œuvre des techniques efficaces.

 

La question n’est pas « comment être un enseignant efficace », mais « comment être un bon enseignant » au sens d’être une personne qui agit en accord avec des valeurs socio-éthiques.  

 

La méthode de Paulo Freire : l’éducation problématisante, la pratique dialogique, les groupes de discussion, les enquêtes de conscientisation… n’est pas la pédagogie de Paulo Freire.

 

La pédagogie relève en effet de la praxis et non de la poièsis.

 

Les intertitres de l’ouvrage donnent une présentation de cette éthique qui fait intervenir plusieurs conceptions de l’éthique :

- vertuiste : l’enseignant se caractériserait par un certain nombre de vertus sous forme d’éthos

- réflexive : il se caractériserait par un esprit critique

- normative ou déontologique : il suit certaines règles d’action

- axiologique : il respect certaine valeurs ou finalités.

 

Qu’est-ce qu’une vertu ?

 

Selon Aristote dans Le livre II de l’éthique à Nicomaque : « « la vertu est une disposition acquise de la volonté [habitude], consistant dans un juste milieu relatif à nous, lequel est déterminé par la droite règle et tel que le déterminerait un homme prudent » (1106 b 36) ».

 

La vertu est donc une capacité à bien agir dans une situation donnée qui est acquise par l’exercice.

 

Il est possible de repérer dans les intertitres plusieurs vertus qui seraient celles d’un enseignant critique selon Paulo Freire : la rigueur méthodologique, posture de chercheur la curiosité, la cohérence, la réflexivité, bon sens, humilité, tolérance, générosité, l’ouverture d’esprit, la bienveillance, le courage de ses opinions….

 

Le juste milieu que suppose la vertu d’enseignement apparaît en particulier lorsqu’il s’agit de trouver un juste milieu démocratique entre l’autoritarisme et le laisser-faire.

 

La réflexivité :

 

Elle apparaît à travers l’esprit critique et la réflexion critique sur ses pratiques.

 

Il précise : « En pensant de manière critique la pratique d’aujourd’hui ou d’hier, on peut améliorer la pratique prochaine ».

 

En considérant que la pédagogie se caractérise par l’agir éthique et non par la « méthode », il devient possible d’éviter le dogmatisme méthodologique. Il est toujours possible de transformer la poièsis en relation avec la réflexion critique.

 

La déontologie de l’enseignant : le respect de l’altérité de l’élève et devoir envers la fonction

 

Cela passe par le respect : des savoirs de l’apprenant, de l’autonomie de celui qui apprend, le respect de leur identité culturelle.

 

Sur le plan des règles déontologique, l’une de celle qui est mise en avant est la lutte pour la défense des droits des enseignants. L’éthique de l’enseignant implique de lutter pour un enseignement digne.

 

Les valeurs qui orientent l’éducation :  des finalités éducatives socio-éthiques

 

Ces valeurs socio-éthiques sont les finalités de la Pédagogie de l’autonomie :

 

« Je suis professeur pour la décence contre l’impudeur, pour la liberté contre l’autoritarisme, pour l’autorité contre le laxisme, pour la démocratie contre la dictature de droite comme de gauche. Je suis professeur pour soutenir constamment la lutte contre toute forme de discrimination, contre la domination économique des individus ou des classes sociales. Je suis professeur pour me manifester contre l’ordre capitaliste vigoureux qui inventa cette aberration totale : la misère dans l’opulence. »

 

Ethique de l’enseignement et anthropologie philosophique

 

L’agir éthique de l’enseignant chez Paulo Freire est fortement liée à une anthropologie philosophique : à la fois l’être humain est conditionné historiquement et socialement, mais en même temps, il est un être inachevé conscient de son inachèvement.

 

De ce fait, la pratique éducative prise sous l’angle de la poiésis ne peut pas enfermer l’être humain dans un déterminisme biologique ou social.

 

La poiésis pédagogique doit être en accord avec ce qui fait la dignité de l’être humain.

 

Elle ne peut pas déshumaniser l’être humain en le considérant simplement comme un machine à apprendre. Le processus éducatif ne doit jamais réduire l’élève au rang d’objet, mais toujours tendre à le mettre en situation de sujet.

 

Le statut de la conscientisation dans l’éthique enseignante de Paulo Freire

 

La conscientisation chez Paulo Freire constitue une règle de l’agir éthique. S’il existe une inégalité sociale et des discriminations sociales et si ces réalités sociales remettent en cause l’aspiration de tous les êtres humains au plus être, alors il est nécessaire de changer cet état de chose.

 

Pour cela, il s’agit donc pour l’éducation de développer la conscience sociale critique réflexive qui est sensée développée la conscience transformative et donc l’action transformative.

 

A partir de là, les groupes de discussion, les questions de réflexion… sont des moyens pour parvenir à cette réflexion. Mais il ne sont pas en soi parti de la pédagogie, mais de la didactique critique.

 

En Amérique du Nord, il existe des tests visant à évaluer l’efficacité des différentes méthodes de formation critique à élever le niveau de conscientisation.