Gilets jaunes : démocratie, majorité et minorités

 

 

Cela fait plusieurs semaines que le mouvement des Gilets jaunes interroge la question de la conception de ce qu’est une démocratie. Un point néanmoins reste quelque peu dans l’ombre, c’est celui de la place des minoritaires dans une stratégie majoritaire.

 

Démocratie et stratégie majoritaire dans le mouvement des Gilets jaunes

 

La notion de populisme est une notion complexe et à manier avec précaution. Néanmoins, y compris chez les auteures qui utilisent cette notion positivement, comme Chantal Mouffe, on trouve un trait caractéristique c’est l’opposition entre « ceux d’en haut » et « ceux d’en bas ». Le populisme repose implicitement sur une stratégie majoritaire.

 

On retrouve cette stratégie majoritaire au sein du mouvement des Gilets Jaunes. Les Gilets jaunes incarnent le peuple entendu en particulier comme les femmes et les hommes des classes populaires et aussi des classes moyennes inférieures constituant une majorité numérique dans la société française.

 

Le RIC illustre cette stratégie majoritaire. Obtenir le RIC, ce serait obtenir que les majoritaires sur le plan numérique ne se fassent plus imposer la volonté d’une minorité privilégiée appartenant à l’élite sociale. Cela consiste donc à définir la démocratie comme la loi du nombre, comme celle de la majorité.

 

Droite/Gauche : la complexité des catégories politiques

 

La stratégie populiste privilégie une division principale « ceux d’en haut » et « ceux d’en bas ». Ceux d’en haut confisquent le pouvoir politique et détiennent les richesses.

 

Cela pose néanmoins la capacité de définir le clivage droite/gauche uniquement à partir de ce clivage autour des questions démocratique et économique.

 

Pour montrer les limites d’une telle position, il est possible de constater qu’elle est revendiquée également par l’extrême-droite. Par exemple, Alain Soral considère que le mouvement des Gilets Jaunes incarne sa lecture politique car il se caractériserait par une analyse basée sur la question sociale et des valeurs de droites.

 

Il apparaîtrait donc que la question sociale ne serait plus suffisante aujourd’hui pour déterminer la ligne de clivage entre la droite et la gauche.

 

Etre de gauche, ce serait non seulement accepter l’existence de la question sociale, portée initialement par le mouvement ouvrier, mais également un certain nombre de revendications portées également par les « nouveaux mouvements sociaux » : féminisme, LGBTI, anti-racisme…

 

La définition du clivage droite/gauche à travers un clivage binaire principal qui serait soit la lutte contre les inégalités sociales, soit la lutte contre les discriminations s’avère insuffisant. Dans un cas, on a une dérive libérale, on se contente de lutter pour un management de la diversité. Dans un autre cas l’on a une dérive conservatrice qui conduit à évacuer en particulier les revendications des minoritaires.

 

Démocratie et minoritaires

 

La stratégie majoritaire s’avère en réalité insuffisante pour penser un mouvement d’émancipation. La stratégie majoritaire peut conduire à nier les droits humains fondamentaux d’une minorité. On utilise ici le terme de majoritaire et de minoritaire pas au sens politique, mais dans un sens numérique et politique. Les minoritaires désignent ici des groupes sociaux numériquement peu nombreux dans une situation d’oppression sociale.

 

Cela signifie que la démocratie et l’émancipation ne peut pas se définir uniquement à partir d’une stratégie majoritaire. Car cela conduirait à affirmer que le peuple pourrait nier une partie de lui-même ou dit autrement qu’une majorité pourrait nier les droits humains fondamentaux d’une minorité.

Cela signifie que sur le plan de la philosophie politique, la démocratie ne peut pas être définie à partir uniquement d’un principe majoritaire, mais qu’elle doit inclure un principe des défense des droits humains fondamentaux des minorités.

 

Dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes, cela signifie qu’il n’est pas possible de mettre en avant que les revendications portant sur le principe majoritaire, celles qui concernent la majorité des personnes : la réforme de la fiscalité, le partage des richesses...

 

Un mouvement émancipateur doit également se soucier du droit des minorités comme par exemple des revendications des Gilets Jaunes en situation de handicap (https://www.youtube.com/watch?v=PFUzpkUWRQg&t=6s )

 

Conclusion :

 

Tant que ceux qui soutiennent les Gilets Jaunes et ceux qui sont des Gilets Jaunes, favorables à un projet d’émancipation, limitent leur stratégie et leur définition au principe majoritaire, ils ne peuvent pas véritablement s’opposer aux dérives réactives en leur sein : antisémitisme, racisme, homophobie…

Un mouvement d’émancipation sociale doit être en mesure d’articuler à la fois les oppressions majoritaires et les oppressions vécues par les minorités.