Paulo Freire : « Qu’est-ce que la radicalisation ? »

 

 

Extrait de « L’éducation comme pratique de la liberté » (1967) :

 

« La radicalisation, qui implique l’enracinement dans le choix que l’on a fait, est positive, parce que c’est une attitude profondément critique. Parce qu’elle est critique et amoureuse, humble et communicative. L’homme radical, dans son option, ne nie pas le droit de l’autre de choisir. Il ne prétend pas imposer son option. Il dialogue à leur sujet. Il est convaincu de son affirmation, mais il respecte dans autrui le droit également de considérer avoir raison. Il tente de convaincre et de convertir, et il ne démolit pas son opposant. Il a le devoir, surtout pour une question même d’amour, de réagir à la violence de ceux qui prétendent lui imposer le silence. De ce qui au nom de la liberté, tuent, en soi et en lui, la liberté. La position radicale qui est amoureuse, ne peut pas être autoflagellatrice. Elle ne peut pas s’accommoder passivement face au pouvoir exacerbé de certains qui conduisent à la déshumanisation de tous, y compris des puissants. Le grand mal, cependant dans le fait, qu’impréparé par la captation critique du défi, joué par la force des contradictions, l’homme brésilien, y compris ses élites, tombaient dans le sectarisme et n’allait pas vers des solutions radicales. Et le sectarisme a une matrice émotionnelle et acritique prépondérante. Elle est arrogante et antidialogique et elle est pour cela anti-communicative. Elle est réactionnaire qu’elle se présente comme droitière, ce qui pour nous est un sectarisme à la base, ou comme de gauche. Le sectaire ne crée rien par ce qu’il n’aime pas. Il ne respecte pas les choix des autres. Il prétend imposer aux autres la sienne, qui n’est pas un choix, mais un fanatisme. De là l’inclinaison du sectarisme vers l’activisme, qui est l’action sans vigilance de la réflexion. De là son goût pour le slogan qui difficilement dépasse le stade du mythe, et qui pour cela meurt dans les demi-vérités, et se nourrit du purement « relatif auquel il attribue la valeur absolue ».

 

Le radical, au contraire, rejette l’activisme et soumet toujours sont action à la réflexion. Le sectaire qu’il soit de droite ou de gauche, se met face à l’histoire comme son unique auteur. Comme son propriétaire. Ils diffèrent parce que tandis certains prétendent la détenir d’autres prétendent la prévoir. Si l’histoire est son œuvre, si elle lui appartient, certains peuvent la détenir quand ils le veulent et d’autres l‘anticiper s’ils l’approuvent. De là, ils se reconnaissent par leur imposition de leurs convictions. Dans leur réduction du peuple à la masse. Le peuple ne compte pas pour le sectaire, et n’est pas un appui pour ses fins. (…)

 

Pour le radical, qui ne peut pas être un centriste ou un droitier, on ne possède pas et on n’anticipe pas l’Histoire sans que l’on ne court le risque d’une punition. Il n’est pas un simple spectateur du processus, mais chaque fois davantage sujet, dans la mesure, ou critique, il comprend ces contradictions. Il n’est pas non plus son propriétaire. Il reconnaît, cependant, que, s’il ne peut pas posséder, ni anticiper, il peut et doit, comme sujet, comme d’autres sujets, aider et accélérer les transformations, dans la mesure où il connaît pour pouvoir intervenir.

 

Dans l’actualité brésilienne, la suprématie n’est pas du côté des radicaux, mais des sectaires, surtout de droite. C’est cela qui nous faisait trembler pour le destin démocratique du pays. L’humanisation de l’homme brésilien est menacée par les fanatismes, qui séparent les êtres humains, les abrutient et provoquent de la haine.