Le tatonnement expérimental de l’enseignant-e en pédagogie radicale

 

 

Le tatonnement expérimental en pédagogie ne doit pas être seulement pensé du côté de l’élève, mais également des enseignantes. Comment un-e enseignant-e qui est en recherche de techniques toutes prêtes et n’expérimente pas elle-même la création de ses propres techniques pourrait-elle être dans une attitude émancipatrice ?

 

Considérer que l’objectif de la pédagogie serait de fournir aux praticien-ne-s un « stock de techniques » à appliquer ne semble pas relever de ce que peut être une émancipation de la pratique pédagogique. Sans doute s’agit-il davantage de proposer d’engager les enseignant-e-s dans un processus de recherche-action critique.

 

L’un des problèmes, c’est que les techniques pédagogiques qui sont partagées entre enseignant-e-s ne font pas l’objet d’une observation ethnographique pour savoir si celles-ci reproduisent ou non les inégalités sociales à l’école ou des discriminations.

 

Proposition de processus de recherche-action critique :

 

1. Détermination des finalités de la pratique enseignante. Ce qui caractérise la pédagogie radicale, c’est comme l’explique Paulo Freire qu’elle vise à la lutte contre les discriminations et les inégalités en éducation : « Je suis professeur pour soutenir constamment la lutte contre toute forme de discrimination, contre la domination économique des individus ou des classes sociales » (Paulo Freire, Pédagogie de l’autonomie).

 

2 . La connaissance de la littérature sociologique sur les discriminations et les inégalités sociales à l’école (http://pedagogie-antidiscrimination.fr/). Ce sont les « savoirs théoriques » nécessaire à la conscientisation de l’enseignant-e.

 

3. L’observation ethnographique de la manière dont ces inégalités sociales et ces discriminations se reproduisent et s’amplifient à l’école. Il s’agit de la connaissance du contexte local. La conscientisation de l’enseignant-e s’effectue par un dialogue entre les connaissances générales et une situation professionnelle particulière

 

4. L’autonomie professionnelle de l’enseignant-e se trouve dans l’imagination créative dont :

- il ou elle fait preuve pour trouver des réponses à ces situations identifiées d’inégalités sociales et/ou de discriminations.

- pour conscientiser également ses élèves à ces inégalités et à ces discriminations

 

Les hypothèses de solutions peuvent être trouvées dans une discussion collective en groupe. Bien souvent les processus psychologiques de la créativité sont liés à des analogies avec d’autres domaines : cela signifie dans la capacité à adapter une solution appliquée dans un autre domaine parfois assez éloigné à un autre domaine.

 

5. Expérimentation des hypothèses de solution trouvées par l’enseignant-e.

 

6. L’observation ethnographique de la manière dont ces inégalités sociales et ces discriminations se reproduisent et s’amplifient à l’école. Il s’agit de la connaissance du contexte local. La conscientisation de l’enseignant-e s’effectue par la mise en dialogue entre les connaissances générales et la situation professionnelle particulière.

 

Ect…

 

 

Exemple : La prise de parole genrée dans une salle de classe

 

1. Conscientisation par la littérature sociologique d’une inégalité dans la prise de parole entre filles et garçons dans la salle de classe (ex : COLLET, Isabelle. Faire vite et surtout le faire savoir. Les interactions verbales en classe sous l’influence du genre. In: Revue internationale d'ethnographie, 2015, n° 4, p. 6-22. https://archive-ouverte.unige.ch/unige:82580)

 

2. Observation ethnographique d’une prise de parole inégalitaire dans la salle de classe ou même dans plusieurs groupes. Exemple : dès que l’enseignant-e pose une question, le même étudiant homme lève sytématiquement la main pour répondre. Voyant que cet étudiant lève la main pour répondre, les autres étudiant-e-s, en particulier des femmes, ne cherchent plus à répondre puisque une personne s’est déjà proposée.

 

3. Hypothèses de solutions testées :

- Rappeler aux étudiants l’existence d’une inégalité genrée dans la prise de parole

- Annoncer à l’étudiant homme que l’on ne l’interrogera pas tout de suite lorsqu’il demandera la parole dès le début

- Expliquer l’idée de desempowement et d’empowerment : il faut parfois que certains acceptent de perdre un peu de pouvoir et que d’autres en gagnent pour rétablir de l’égalité

- Encourager la prise de parole des étudiantes en précisant que l’on ne prendra pas seulement la première réponse, mais que l’on écoutera toutes les étudiant-e-s même si ils/elles ont l’impression de donner la même réponse. Il peut être intéressant également de reformuler avec ses propres mots.

 

4. Bilan de l’expérimentation : constat d’amélioration de la participation de l’ensemble du groupe. Mais parfois, il arrive que les autres étudiant-e-s n’aient pas l’habitude de prendre la parole en public donc ne parlent pas assez fort pour être bien entendu par le groupe….