Les intellectuels et le militantisme

 

 

Quelles relations peuvent entretenir les chercheur/ses avec l’engagement militant ?

 

Trois postures

 

Il est possible de distinguer trois postures. La notion d’intellectuel recouvre une posture bien particulière impliquant une dialectique liée à la tension entre deux pôles.

 

- La première est celle du savant pensé sur le modèle du clerc. C’est la posture que décrit Julien Benda dans La trahison des clercs. La notion de clerc indique un rapport au savoir coupé de la réalité mondaine: “le chercheur dans sa tour d’Ivoire”. La reconnaissance dans cette posture est interne au champ scientifique, mais peu le déborder si le savant obtient une reconnaissance scientifique qui déborde pour parvenir à atteindre le grand public cultivé.

 

- La seconde posture est celle de l’Universitaire militant. L’Universitaire militant oriente son activité avant tout dans l’engagement militant et non pas dans la production d’une oeuvre scientifique. Universitaire désigne alors davantage une position sociale et professionnelle à partir de laquelle il intervient dans l’espace public.

 

- La position de l’Intellectuel se distingue des deux précédentes comme l’a expliqué Sartre. L’intellectuel doit réaliser un équilibre qui est toujours une tension entre son activité de clerc détaché du monde et son engagement militant. Les deux apparaissent comme les deux pôles nécessaire d’une réalité. En effet, la recherche intellectuelle suppose de s’isoler: c’est le temps de la lecture et de l’écriture. Mais cette activité ne prend réellement son sens que si elle peut s’engager dans une praxis de transformation sociale. Elle suppose de ce fait un engagement mondain socio-politique du savant. Il y a donc une antinomie et une tension entre les deux activités. Mais si l’un des pôles de l’antinomie est abandonné, on bascule dans une autre figure qui est celle soit du savant (pensé sur le modèle du clerc), soit celle du militant.

(Sur la définition de l’Intellectuel comme contradiction,

voir Sartre: Entretien Radio Canada, 1967

URL: https://www.youtube.com/watch?v=FfSJadOqHeA )

 

L’intellectuel face au monde militant

 

Quel peut-être le rôle et la fonction de l’intellectuel lorsqu’il intervient dans l’espace public ?

 

Il est possible de dire que l’intellectuel s’engage pour des raisons normatives. L’engagement fait quitter le monde de la description factuelle et de l’explication scientifique, pour le monde normatif du devoir-être. Il peut s’agir par exemple de dénoncer une injustice.

 

L’autre dimension porte sur la manière dont l’intellectuel intervient dans l’espace public. Il n’est pas dans le rôle d’un intellectuel libérateur au sens où il viendrait éclairer le public de son savoir de manière à émanciper les profanes.

 

Mais la fonction de l’intellectuel ne peut être démagogique. Elle ne peut consister à dire exactement ce qu’attendent le public ou les militants. L’intellectuel doit être une conscience libre. Cela veut signifie qu’il doit prendre la parole pour dire ce qui lui semble juste relativement au travail intellectuel qu’il a effectué.

 

En effet, l’intellectuel ne prend pas la parole sur tous les sujets. On peut en effet admettre que l’intellectuel intervient dans l’espace public à partir de la légitimité qu’il a acquise dans un champ donné (voir Juillard et Winnock, Dictionnaire des intellectuels)

 

En outre, l’intellectuel ne peut être un intellectuel organique au sens où ce terme signifierait le fait d’épouser et de justifier le point de vue d’une organisation militante quelconque ou une faction militante spécifique.

 

L’intellectuel doit avoir le courage de prendre des positions qui ne sont pas celles de l’opinion publique ou du discours militant. De fait, si son intervention s’appuie sur son travail intellectuel, cela l’amène à prendre des positions plus complexes que les simplifications que tendent à requérir le discours militant.

 

En ce sens, le rôle de l’intellectuel est d’agir comme une conscience morale et individuelle dans l’espace public. Sa position n’est pas celle d’une avant-garde éclairée. Sa position consiste à prendre un point de vue différent et nouveau qui peut par sa spécificité conduire à faire bouger les lignes théoriques pré-établies sur certains sujets.

 

Cette position spécifique s’explique par le fait que son travail de recherche l’amène à réfléchir sur les sujets d’une manière qui n’est pas celle du sens commun. Cette dimension avait été bien mis en lumière par Deleuze lorsqu’il assigne à la philosophie un rôle créatif.