Rationalité et sens en éducation

 

 

On invoque bien souvent la question de donner du sens aux apprentissages, sans vraiment s’interroger sur le sens de cette injonction répétée parfois quelque peu mécaniquement.

 

De l’interrogation existentielle dans la philosophie antique.

 

Dans De la brièveté de la vie, Sénèque pose déjà les questions de l’interrogation sur le sens de l’existence:

 

“ Notre existence est assez longue et largement suffisante pour l'achèvement des œuvres les plus vastes, si toutes ses heures étaient bien réparties. Mais quand elle s'est perdue dans les plaisirs ou la nonchalance, quand nul acte louable n'en signale l'emploi, dès lors, au moment suprême et inévitable, cette vie que nous n'avions pas vue marcher, nous la sentons passée sans retour. (...) Ceux-là, sans nul relâche, ambitionnent la fortune d'autrui ou maudissent la leur. Le plus grand nombre, sans but déterminé, sont les jouets d'un esprit mobile, irrésolu, mécontent de soi, qui les promène de projets en projets. (...)”.

 

La rationalisation des sphères d’activité et l’accélération du temps

 

Que ce soit Max Weber, ou ensuite les théoriciens de l’Ecole de Francfort, ces auteurs ont insisté sur la rationalisation des sphères d’activité de la modernité.

 

Celle-ci se caractérise par la domination d’une raison instrumentale dans laquelle l’interrogation sur les moyens a pris la prévalence par rapport à l’interrogation sur les finalités.

 

C’est ce que met en lumière H. Arendt lorsqu’elle a dit de Eichmann qu’il était d’une bêtise révoltante: il ne se posait pas la question des finalités de son action, mais uniquement celle de l’efficacité des moyens de l’action.

 

A ce phénomène s’ajoute ce que Hartmut Rosa appelle l’accélération produite par la technique issue de la rationalité calculante. Ainsi les individus se trouvent pris dans des logiques d’accélération de l’action qui leur donne encore moins le temps d’avoir la réflexivité critique pour s’interroger sur le sens de leur action.

 

L’éducation contre le dressage: la question du sens de l’action

 

Le dressage désigne une forme d’éducation basée sur la répétition mécanique qui est mise en oeuvre avec les animaux.

 

Faire des élèves des êtres humains, cela semble requérir de les traiter comme ce qui caractérise l’être humain, à savoir comme un être conscient capable de donner du sens à ce qu’il fait.

 

Bien souvent cette question du sens est limitée à la question du sens cognitif des apprentissages, mais le sens est également un sens existentiel et éthique.

 

Comme le souligne Paulo Freire, ce qui caractérise l’être humain, c’est qu’il est capable de de s’interroger sur le monde qui l’entoure pour essayer de donner du sens à son existence.

 

Le fait même d’amener à une réflexion existentielle à nos actes est une résistance à la bêtise engendrée par la domination de la raison instrumentale et l’accélération que cela entraîne.

 

Car la domination de la raison instrumentale a modifié la situation par rapport à ce qu’on décrit Sénèque ou Pascal. Lorsque ce dernier parle du “divertissement”, il indique un rapport à l’existence qui consiste à oublier la conscience de notre finitude dans l’activité quotidienne.

 

Mais avec un monde dominé par l’accélération produite par la raison instrumentale et l’hyper-connexion, cette question se pose avec d’autant plus d’acuité. Dès lors, le rôle de l’éducation doit être de produire une décélération par une attitude de réflexivité qui amène l’individu à réfléchir au sens de ses actes.