Paulo Freire : « L’éducation pour une transformation radicale de la société : Un apprentissage politique » (1988)

 

 

Conférence donnée, par Paulo Freire, en 1988 à Madrid.

 

Dans ce cadre, j’aimerais faire comme si j’étais dans ma maison au Brésil, dans mon bureau, comme si j’étais en train de penser et parler avec des amis à moi, faire comme si j’étais aux séminaires de l’Université Catholique de São Paulo. J’aimerais aussi tenter de prendre de la distance avec la pratique éducative. Peu importe le nom que l’on donne à cette pratique : j’aimerais prendre de la distance et m’interroger à son sujet, l’objectiver pour mieux la connaître. C’est en prenant cette distance que je suis parvenu à une compréhension moins naïve de la pratique éducative. En le faisant, je tenterai capter deux ou trois caractéristiques fondamentales de la pratique éducative, ou de certains éléments qui la composent. Possiblement, je parlerai, y compris de choses évidentes, dans cet effort de comprendre la pratique éducative de manière critique.

 

Il est impossible par exemple de penser une pratique éducative sans professeur-e, sans éducateur/trice. Mais d’un autre côté, il n’est pas possible de penser cette pratique sans l’apprenant, sans l’élève. Mais non plus, il n’y a pas de pratique éducative sans un certain contenu qui médiatise les relations entre le professeur et l’élève. Le contenu est exactement l’objet de connaissance. Pour cela même, il n’est pas possible qu’une pratique éducative n’implique pas un processus, des techniques et des méthodes, qui permettent de se rapprocher de l’objet qui doit être connu. Il me semble que si l’on est d’accord avec cela – si c’est la vérité – il n’est pas possible de nier non plus que toute pratique éducative est également un acte de connaissance. C’est-à-dire que toute situation éducative est toujours une situation gnoséologique, ou une situation dans laquelle on cherche à connaître. Dans ce sens, il faut reconnaître que l’acte éducatif est une certaine théorie de la connaissance mise en pratique.

 

L’éducateur connaît, et c’est précisément pour cela, qu’il enseigne. La question qui nous est posée, c’est de comprendre réellement ce que signifie enseigner. Qu’est-ce qu’enseigner ? A ce moment de la réflexion, quand nous savons qu’il y a toujours comprise dans la situation éducative un acte de connaissance, il me semble que l’on pourrait formuler une première question. Qui connaît dans la pratique éducative ? En faisant, cette question, je pense que nous commençons à comprendre que sa réponse n’est pas exclusive du cadre de la pédagogie (en prenant la pédagogie comme un certain effort systématisé).

 

Quand nous formulons cette première question, il semble qu’il y a quelque chose qui commence pour le moins à être nuancé par la politique. Nous commençons à voir qu’il y a des formes différentes de réponse à cette question. Et celles-ci comportent avec elles une certaine marque idéologique et une certaine option politique. Par exemple, il est intéressant de voir comment dans l’histoire de l’éducation, cette question a toujours été présente, même quand on ne formule pas la question. La réponse révèle une plus ou moins grande dose d’autoritarisme ou de démocratie. Par exemple, si on formule cette question et que l’un répond que celui qui sait dans la pratique éducatif c’est le professeur, on peut demander ensuite : alors quel est le rôle de l’élève ? Celui qui dit que dans la pratique éducative, c’est le professeur qui sait, dira également pour être cohérent, que le rôle de l’élève c’est d’apprendre. En comprenant l’acte d’apprendre comme le fait de recevoir des connaissances du professeur. Le professeur enseigne et l’élève étudie et apprend.

 

Il me semble que d’un côté, cette réponse est naïve, elle n’est pas rigoureuse. Et d’un autre côté, elle est autoritaire. Entendez-moi bien, je ne veux pas avec cela suggérer que le professeur ne doit pas enseigner. Au contraire, sans aucune peur de m’égarer, je vous dirai que c’est le seul point avec lequel le professeur réactionnaire s’accorde avec le professeur progressiste. Il n’y a qu’un point pour moi, les deux doivent enseigner. Il n’y a pas de professeur sans enseignement. La question consiste à savoir ce qu’est enseigner, ce que nous comprenons par enseigner et apprendre. Ma réponse à cette question, qui révèle ou dévoile mes options politiques et non seulement pédagogiques, ma réponse – je répéte – c’est que les deux, professeur et élève, savent et apprennent dans la pratique pédagogique. Mais, il faut insister sur le devoir du professeur d’apprendre. Après, je reviendrai sur cette question, pour vous dire ce que je pense, ce que j’entends par enseigner. Mais pour moi, ce qui n’est pas possible, c’est de nier la possibilité à l’élève, le droit d’assumer une position critique de celui qui se renseigne et de celui qui cherche, de celui qui proteste, de celui qui s’inquiète au sujet de l’objet de connaissance. Pour moi, par cela même, le rôle d’enseigner qu’à le professeur ne se limite pas à la description du concept de l’objet. Enseigner, ce n’est pas pour moi décrire, ce n’est pas esquisser à l’élève le concept trop souvent éloigné, déjà trop, de la matérialité du contenu. Apprendre ce n’est pas mémoriser mécaniquement le profil de l’objet et la description de l’objet.

 

Face à cette problématique, et en la comprenant comme je la comprends, je reconnais que le professeur et les élèves sont différents. Je dis toujours au Brésil que quand un professeur dit le premier jour du semestre aux élèves que le professeur est un de plus parmi les élèves, ce professeur a la possibilité d’être démagogue, et l’autre, celle d’être incompétent, il a également la possibilité de se tromper. En disant, cela je ne suis en aucune manière en train d’adopter une position autoritaire, mais ce qui n’est pas possible, c’est de nier que le professeur est différent de l’élève. S’ils étaient égaux, les deux, il ne serait pas possible de découvrir ce qu’est le professeur et ce qu’est l’élève.

 

Après cette question, sur qui connaît dans la pratique éducative, cela nous amène à une autre : nous demandons si la pratique éducative comprend un acte de connaissance. Qu’est-ce que c’est ce que l’on connaît dans la pratique éducative ?

 

L’importance de cette question, se trouve dans le fait qu’elle nous renvoie à l’organisation du programme en éducation, particulièrement concernant les contenus de la pratique éducative. De nouveau, nous sommes face à une question politique – pas simplement pédagogique ou technique. Cela n’est pas une tâche de spécialiste, comme on a l’habitude de le dire.

 

Mais ensuite, il faut faire une autre question qui nous approche davantage de la nature politique de la pratique éducative. Je me demande en faveur de quoi et en faveur de qui, je cherche à connaître et à enseigner la pratique éducative. Et quand je demande en faveur de qui et en faveur de quoi, j’enseigne, automatiquement, je suis en train de demander contre quoi et contre qui je travaille et j’enseigne.

 

En travaillant en éducation, avec l’idéologie, les mathématiques ou l’éducation, je me demande : Quel est l’idéal de la société dans laquelle je souhaiterais vivre ? Quels sont mes rêves ? C’est cela la parole. Et cette question, mes amis, n’est pas seulement pédagogique, elle est politique. Imminemment politique. Et comme cette question, il y en a d’autres, mais cela ne me paraît pas intéressant et important de la formuler maintenant. Avec cette question, je crois que nous découvrons une autre dimension de la nature de la pratique éducative. La première a été exactement sa nature gnoséologique. La seconde maintenant est exactement politique. C’est cela : l’éducation possède une qualité politique. Ainsi, soyez attentif, je ne dis pas qu’elle a une nature partisane. Comme professeur, quand j’entre dans ma classe, je ne suis en aucune manière neutre. Mais, j’ai un respect total pour les options partisanes des élèves avec qui je travaille.

 

Comme professeur, je ne peux pas recaler un étudiant simplement parce qu’il serait un partisan du capitalisme. Je ne peux pas faire cela. Maintenant, si c’est pour l’inviter à travailler avec moi, alors, je ne l’invite pas. Cela c’est autre chose, mais je respecte sa position.

 

A partir du moment où nous découvrons la nature politique de l’éducation, il n’y a pas moyen de ne pas l’assumer. Parfois nous préférons nous voiler la face, voilés par des procédés techniques et nous nous présentons comme de pures spécialistes. De cette manière, nous pouvons servir n’importe quel type de gouvernement. Je ne crois pas en cela. D’aucune manière. Je crois au contraire comme éducateur, comme professeur d’université, évidement qu’un de mes premiers devoirs c’est de chercher chaque fois plus, chercher un certain niveau de compétence.

 

Un professeur incompétent est un désastre, mais pour moi, la compétence en soi est déjà politique. Il n’y a pas de compétence scientifique qui ne soit pas également politique. Indépendamment de la matière, l’enseignement est toujours un acte politique.

 

En assumant la politisation de l’éducation, quelque soit la matière, il n’y a pas de doute que le pas suivant qu’il faut faire, c’est diminuer dans notre pratique la distance entre ce que nous disons et ce que nous faisons. Et ainsi, incarner, une indispensable vertu qui est la cohérence.

 

Je ne sais pas ici, mais dans mon pays, de manière générale, les candidats font un discours qui ne coïncide pas avec la pratique des élus. Quand on est candidat, on fait un discours, et quand on est élu, on a une pratique qui ne coïncide pas avec le discours antérieur. Il y a un discours énorme entre ce que dit l’un et ce qu’il fait. Je crois que l’une de nos tâches, la recherche de la compétence, doit être effectuée par les réactionnaires et les professeurs progressistes. Les deux doivent être compétents. Maintenant, je pense que la manière dont un professeur réactionnaire met en œuvre sa cohérence ne peut pas être la même que celle avec laquelle j’exécute la mienne. Souvent la cohérence du professeur réactionnaire, même si très compétent, consiste au lieu de dévoiler le monde de rajouter du brouillard. Au lieu de clarifier la raison d’être des choses, il l’obscurcit un peu parfois.

 

Il parle par exemple des incapacités du Tiers monde comme si c’était des incapacités ontologiques des personnes du Tiers monde. Cela ce n’est pas scientifique, c’est idéologique. Purement idéologique. D’un autre côté, dans mon cas, si je cherche à être cohérent avec mon discours, je dois le vivre pleinement jusqu’au point où les paroles se font presque des pratiques. Je me rapproche à ce point de mon rêve, je cherche à tel point à être fidèle à ce que je dis, qu’en le disant, je suis presque en train de le faire. Personne ne naît avec cette cohérence. Les vertus sont incarnées pour nous, dans notre pratique. J’apprends la cohérence en cherchant à être cohérent et en découvrant que je le suis. C’est pour cela même, pour moi, il n’est pas possible de parvenir à un état absolu de cohérence. En premier lieu, la vie serait très antipathique si cela existait. Imaginez que tout serait cohérent dans votre vie. Vous ne pourriez même pas savoir que vous êtes incohérents. Alors, il y a toujours une limite d’incohérence qui est exactement ce qui me pousse à chercher la cohérence. C’est reconnaître mes glissements.

 

Ce qui se passe, c’est qu’il y a une limite acceptable de l’incohérence, quand on la franchit, on ne peut plus parler de cohérence. Je crois qu’en lien avec cela, il faut être très clair. Par exemple : « Comment une professeure progressiste peut freinée la curiosité intelligente d’un élève car elle se sent menacée ? ». Cela n’est pas possible. Si l’on se sent menacé par l’inquiétude d’un élève, la professeure le freine avec son autorité autoritaire, et alors elle ne pourra pas continuer de se considérer comme progressiste. Le mieux ce serait qu’elle affirme son option autoritaire. Mais, si elle continue à se proclamer progressiste, il n’y a pas d’autre chemin sinon, travailler pour stimuler l’intelligence de l‘élève. C’est pour cela que la cohérence exige de l’humilité.

 

Le professeur qui adopte cette attitude face à l’élève ne diminue absolument pas son autorité et ne ressent pas le fait que l’on remet en question sa compétence. Au contraire, de cette manière il acquiert davantage de compétence. C’est que l’on ne peut pas enseigner sans apprendre. Une de nos erreurs est d’opposer, ce qui ne peut pas être opposé. Nous séparons le fait d’enseigner d’apprendre, le fait de vivre de mourir, d’aller de s’arrêter. En dernière analyse, tout cela fait parti d’une totalité.

 

La perception de la politisation de l’éducation me pousse alors à assumer une certaine responsabilité et à être cohérent avec le rêve que la politisation exige que j’ai. Alors mon rêve comme professeur ne s’étouffe pas dans la classe. Au contraire, lorsque je discute avec les élèves d’un quelconque problème de l’éducation, quand je discute par exemple ma compréhension de la politisation de l’éducation, il est évident que d’un côté, je me préoccupe de ce qui se passe dans la salle de classe où je suis, avec les étudiants, et j’ai également le désir, comme professeur, de convaincre les élèves de ce qui me paraît exact. Si un professeur me dit qu’il entre dans la salle et sort de la salle de classe sans se préoccuper d’avoir convaincu les élèves, je ne crois pas en ce professeur. Soyez attentif, je suis en train de parler de convaincre, qui est une espèce de victoire (vencer con). Je ne suis pas en train de parler d’imposer. Je n’impose rien, mais défi en luttant pour les choses dans lesquelles je crois et les choses qui me paraissent correctes. Quand, je parle au Brésil, de cette question, ma préoccupation, transcendant ce qu’ils peuvent comprendre durant l’horaire du cours… je pense plus loin. Je pense à comment ce que j’ai réussi à leur transmettre reste en eux, comme cela les suit, les transformant dix ans après.

 

Je pense également à l’impact que peut avoir sur un long délai cet apprentissage sur le comportement politique et collectif des élèves. C’est que je suis préoccupé de convaincre pour vaincre politiquement. C’est cela la question que je formule.

 

Il y en a qui considèrent que l’acte de convaincre est propre à la pratique éducative et que la victoire est un aspect spécifique de l’acte politique. Quand, je tente, par exemple, de convaincre mes étudiants que ni l’éducation, ni la science, ni la technologie ne sont neutres, j’ai à l’esprit différentes possibilités de victoires politiques au sein de la lutte sociale pour lesquels le fait de les convaincre se révèle important.

 

De la même manière, un leader politique qui se dirige vers les masses populaires pour vaincre doit choisir entre les convaincre et les manipuler. En cela, comme l’éducateur est politique, le politique est éducateur.

 

Je comprends la démocratie, comme substantivité, et je cherche à diminuer la distance entre mon discours et ma pratique démocratique, je dois assumer certains comportements, certaines attitudes face aux élèves, face aux contenus et aux objectifs que j’ai.

 

Si c’est ainsi, il n’y a pas d’autre chemin pour le professeur-e que d’assumer la politisation et de la vivre pleinement et de manière cohérente avec son option progressiste. Alors, je pense que la question qui se pose, si l’option est progressiste, c’est d’assumer ce que j’appelle la substantivité de la démocratie. C’est à dire que je n’accepte pas de considérer la démocratie comme un pur adjectif : pour moi, la démocratie n’est pas un adjectif, mais une substantivité. Je crois que ce n’est pas contradictoire avec un processus sérieusement révolutionnaire, que ce n’est pas antagonique. Les autoritaires qui deviennent réactionnaires, opposent un processus radical de transformation de la société avec la démocratie, mais je ne comprends pas pourquoi. Cela me paraît une erreur également.

 

Je voudrais revenir, même rapidement, par exemple, à la question d’enseigner, d’apprendre, de connaître. Il me semble que l’acte d’enseigner indubitablement, un acte qui relève de la responsabilité du professeur, implique concomitamment avec lui l’acte d’apprendre de l’élève. Mais de cette manière, se mélangent de manière interdépendante qu’il est irréalisable d’enseigner sans apprendre et d’apprendre sans enseigner. De nombreuses fois, simplement on ne le voit pas, mais est compris dans l’acte d’enseigner, un apprentissage qui a été fait avant ou après l’acte même d’enseigner, de la part de celui qui enseigne et de la part de celui qui apprend. C’est pour cette raison qu’il me semble que dans l’action d’enseigner, le professeur fait en sorte que les apprenants assument la position curieuse de qui également connaît et non pas seulement de celui qui reçoit la connaissance transférée. De cette manière, les apprenants transforment ce qu’ils apprennent en quelque chose qu’ils connaissent.

 

Ce que je veux faire ici c’est souligner la différence (car c’est ici qu’est la différence pour moi) énorme qui existe entre transférer, décrire le concept et appréhender le contenu. Il est intéressant d’observer, par exemple, qu’au moment où l’élève appréhende l’objet que le professeur enseigne, l’élève apprend, pour le moins l’élève connaît. Ce qui signifie qu’il n’est pas possible d’apprendre sans appréhender. Quand je parle d’appréhension, je parle de la compréhension la plus profonde de l’objet, nécessairement de l’apprentissage de l’objet. Ce que nous faisons parfois (et cela l’école traditionnelle y insiste beaucoup) à travers la réception du concept de l’objet, c’est tenter quelque chose pour moi qui est irréalisable, qui est de connaître avant d’appréhender, qui est de mémoriser avant d’appréhender.

 

Pour moi, c’est le contraire : je mémorise parce que je sais. Je ne sais pas parce que je mémorise, je mémorise au contraire parce que je sais. Et en sachant, je mémorise. Alors, ma mémoire, dans ce cas, ne se base pas sur la pure répétition de la description du concept, mais ma mémoire se constitue au moment où j’appréhende l’objet dont je parle. Je ne veux pas dire par là que l’école traditionnelle, en insistant sur la répétition c’était totalement trompée. Je trouve qu’il y a une chose qui fausse, comme par exemple celle de décréter que toute l’école traditionnelle était mauvaise, était mal, et peut être également, au Brésil, certains éducateurs plus actuels, également, commencent à décréter, parfois avec une certaine facilité, que tout ce qui venait de écoles nouvelles était faux. Et ce n’est pas cela. Je crois que le problème de l’histoire de l’éducation c’est qu’elle souligne un des composants du processus éducatif au-dessus de l’autre.

 

Par exemple, l’école traditionnelle souligne énormément la figure du maître. Elle souligne, par exemple, le rôle du paradigme du modèle. Les écoles nouvelles, de l’autre côté, soulignent le rôle de l’élève, du disciple, oubliant parfois le rôle de l’éducateur.

 

Dans cette ligne, je vais rappeler un cas qui, en dépit de sa beauté a été une exagération dans ce sens. Je me réfère à l’école des  « maîtres camarades » d’Hambourg.

 

En parlant de cette école, je me rappelle d’un grand éducateur ici en Espagne en 1910 : Ferrer. Il avait un profond amour de la liberté et j’ai à son égard une profonde admiration.

 

Au Brésil, et je ne sais pas si c’est le cas également en Espagne, il y a une tendance à souligner les contenus de l’enseignement. Tout accent d’un côté qui parvient à exclure les autres composants de la pratique éducative nous amène à commettre des erreurs, des naïvetés. Il faut comprendre l’importance de la pratique éducative dans sa totalité, dans sa globalité.

 

En pensant un plus loin… je perçois une distance, presque déphasage terminologique entre ce dont l’on parle ici et ce que l’on dit en ce moment en Amérique Latine. Je me réfère à l’usage de l’expression « Education et développement ». Cela on ne le dirait plus en Amérique Latine car cela a des résonances avec notre expérience de l’époque développementaliste qui n’a jamais donné aucun fruit tangible de développement au niveau des masses. Pour le moins, le terme de développement a pour nous des connotations négatives. Actuellement, nous parlons, au lieu de cela, d’une transformation. Mais cela ne signifie pas que nous soyons en train de laisser de côté toute préoccupation concernant l’importance d’un certain type d’action économique qui nous unit aux communautés locales, c’est cela qui est nécessaire. Il me semble qu’il serait absurde de nier cette importance. Mais, cela est autre.

Maintenant, reprenons l’expression éducation et développement. Je ne vois pas comment on peut comprendre éducation et développement de manière non politique. Si nous oublions la décision politique qui est là, derrière cela, si nous oublions de demander : « Développement en faveur de qui ? » « Cette éducation et ce développement sera au service de qui et de quoi ? » « De quel projet, il s’agit ? ». Si nous oublions de formuler ces questions et si nous ne sommes pas plus claires à ce sujet, je crois qu’il n’y a pas d’autre chemin que de tomber dans des explications purement techniques.

 

Mais la question fondamentale qui se pose est comment réinventer le pouvoir à travers la réinvention de l’acte productif. Pour moi, cela est l’une des questions les plus importantes qui se pose à la fin de ce siècle. Cette question fondamentale se pose à tous ceux qui sont préoccupés avec la transformation sociale et politique de notre société. C’est la question de la réinvention du pouvoir. Qu’est-ce qui se passe avec la réinvention de l’économie ? Il me semble à moi primordial qu’il y ait chaque fois plus une participation populaire dans le processus productif qui existe entre les masses populaire et la décision de ce que l’on produit et pour qui on produit. Cela doit être comme cela, face à ce qui aujourd’hui est l’expérience du civilisation consumériste.