Identités sociales complexes et stratégies sociales

 

 

Distinction: Anomalie verticale et anomalie horizontale

 

Il semble nécessaire de distinguer deux formes de positions sociales anomales: l’anomalie verticale (position ambivalente) et anomalie horizontale (croisement des oppressions).

 

L’anomalie verticale

 

Les positions d’anomalie verticale sont des positions sociales ambivalentes qui impliquent une menace pour la lecture proposant un affrontement dual entre deux classes sociales.

 

- L’anomalie liée à une double lecture de classe: c’est le cas de la manière dont le mouvement féministe est perçu par exemple par le mouvement ouvrier. Ce mouvement introduit la menace de l’interclassisme en proposant en alliance entre les femmes ouvrières et les femmes bourgeoises. Du point de vue du féminisme lutte de classe, les femmes bourgeoise sont dans une position anomale. Le risque est alors qu’elles orientent le mouvement féministe vers des revendications bourgeoises comme le “plafond de verre”.

 

- L’anomalie liée à l’introduction d’une troisième entitée: Cette troisième entitée peut être l’existence d’une classe moyenne, de métis, de personnes queer… Ces entités menace d’affaiblir la lisibilité de la lutte entre les classes en réduisant numériquement les appartenances à deux classes clairement opposées. Il existe là encore une menace inter-classiste.

 

- L’anomalie liée à l’introduction de transfuges de classes: Ce sont des personnes qui prétendent franchir les frontières de classe comme les femmes trans, les déclasssés ou des personnes qui les ayant franchies prétendent continuer à être des alliées (ex: hommes trans, “les parvenus”, les personnes qui ont un passing blanc). Le risque perçu alors que ces personnes s’imposent comme les leaders des luttes alors que leur position est ambivalente.

 

La position sociale de ces groupes apparaît toujours comme un danger soit visant à relativiser par l’existence de catégories intermédiaires ou d’une mobilité entre catégories la lecture de classe, soit par une position ambivalente qui ne permet pas de savoir exactement avec qui ces groupes vont s’allier et doutant de leur légitimité à ce qu’ils occupent une position de leader des luttes.

 

Il est possible de souligner deux dimensions:

 

  • La première c’est qu’il s’agit de distinguer entre des lectures qui considèrent ces positions anomales comme des exceptions et celles qui tendent à en faire la règle visant ainsi à délégitimer les analyses structuralistes de classe

  • La seconde porte sur la posture d’alliée que peuvent avoir ces groupes conduisant néanmoins à relativiser en revanche leur légitimité à se substituer aux premier-es concernées dans les luttes.

 

L’anomalie horizontale

 

L’anomalie horizontale peut être définie comme la position d’une personne qui se trouve au croisement de deux ou plusieurs oppressions. La difficulté de cette position est le conflit de loyauté. Une femme racisée doit-elle s’allier avec les personnes racisées ou avec les femmes ? Une femme lesbienne doit elle s’allier avec le mouvement homosexuel ou avec le mouvement féministe ?

 

La situation d’anomalie horizontale se caratérise par deux types de stratégie qui ne sont pas exclusives l’une de l’autre: la double (ou triple) non-mixité, la constitution de coalitions (sur la base de pratiques anti-oppressives).

 

L’intérêt néanmoins de cette position d’anomalie horizontale, c’est qu’elle peut constituer la base sur laquelle peuvent se construire les coalitions entre deux ou plusieurs mouvements sociaux sur la base de cette règle: les revendications d’une coalition ne doivent pas invisibiliser et/ou empirer le sort d’un catégorie sociale opprimée, en particulier d’une catégorie qui est opprimée par l’effet de plusieurs rapports sociaux.

 

Les stratégies à l’oeuvre dans le social : invisibilisation, division...

 

Il est possible de dégager plusieurs logiques à l’oeuvre auxquels sont confrontés les groupes sociaux.

 

S’invisibiliser : cette stratégie est plutôt celle des groupes trans-sociaux : transfuges de classes, transgenre… La mobilité vers en particulier un groupe dominant suppose bien souvent des stratégies d’invisibilisation - le passing, l’intégration, l’adoption des codes dominants…- permettant de se fondre dans ce groupe pour échapper aux discriminations et bénéficier des privilèges de ce groupe.

 

Etre invisibilisé : cette situation est celle que subissent les groupes « frontaliers » (Anzaldua) c’est-à-dire qui sont à la frontière entre deux groupes ou mouvements sociaux : les lesbiennes, les femmes racisées, prolétariat racisé… Cette situation d’invisibilisation peut être liée à une injonction à la solidarité avec un groupe spécifique : les femmes, les racisés, les mouvements homosexuels, le prolétariat… Les groupes qui sont invisibilisés se voient souvent instrumentalisés au profit d’intérêts qui ne sont pas exactement les leurs.

 

Le basculement : Le basculement est la situation des catégories inter-classes : les classes moyennes, les métis, la semi-périphérie… Les catégories inter-classes peuvent s’allier avec les dominants ou les dominés. Les dominants tendent à tenter de rallier le soutien des groupes inter-classes. Par exemple, rallier les classes moyennes à l’oligarchie.

 

La division : Les unités sur la base de classes sociales sont toujours menacées par des divisions internes : division entre prolétariat « blanc » et racisé (et même entre groupes racisés), entre femmes bourgeoises et femmes prolétaires, entre femmes racisées et femmes blanches, entre hétéra- et lesbiennes, entre hommes racisés et femmes racisées…

 

Quelle peut être une logique d’alliance et de coalition ? Les logiques d’alliance et de coalition visent à dépasser les divisions au sein des groupes socialement dominés, en évitant l’invisibilisation et l’instrumentalisation de certains groupes. En général, les groupes qui se trouvent astreints à l’invisibilisation sont des groupes qui sont à l’intersection, et qui sont donc généralement doublement ou triplement opprimés.

Tableau des différents groupes sociaux:

 

Positions structurales:

Catégories concernées

Classes/ catégories structurales

sociales économiques

de sexe

catégories de racisation

Sur la frontière (groupes à l’intersection)

femmes racisées

hommes racisés

lesbiennes

femmes ouvrières

Interclasse (groupes intermédiaires)

Intersexe

Genre Non-binaire

Classe moyenne

bisexuels

Métis

Transclasses (mobilité sociale)

Transexuels

Transgenre

Declassé

Transfuge de classe

Passing