Colorisme, auto-catégorisation et quotas au Brésil

 

 

Les statistiques ethniques et l’auto-catégorisation au Brésil soulèvent des débats en lien avec les quotas raciaux dans les Universités.

 

L’auto-catégorisation comme “pardo”

 

La perception de ce qu’est une personne métis au Brésil pose la question des limites de cette catégorie.

 

Ainsi par exemple l’ex-président Henrique Cardoso s’auto-catégorise comme “pardo” (métis) alors que 70 % de la population le catégorise comme blanc (1). L’ancien président Lula Da Silva se catégorise comme “pardo” lui aussi et 42% le perçoivent comme tels. Certains commentateurs estiment que ces chiffres seraient différents si ces deux hommes n’avaient pas occupés des fonctions présidentiels: ils auraient été davantage racialisés (1).

 

Dans la langue de tous les jours, les brésiliens n’utilisent pas la catégorie “pardo” proposé par le recensement. Mais une grande partie de la population du Brésil se catégorise comme “morena”. Le terme “moreno” que l’on traduit par “brun de peau” vient étymologiquement de “maure” qui désignait les “arabes”. Il faut ajouter à cela que “moreno” désigne à la fois la couleur des cheveux et la couleur de peau. Il y a donc une tendance chez certains à réserver le terme “blanc” à des personnes qui ont les cheveux clairs et la peau claire. Ainsi, on trouve l’idée dans le sud du Brésil, où ont immigrés beaucoup de personnes d’ascendance germanique ou italienne, que les portugais ne sont pas blancs (2)

 

Même si dans les recensements au Brésil, les européens du sud et les arabes, par exemple, sont classés comme blancs, la perception de la blancheur dans la vie de tous les jours peut inclure des nuances plus fines. Une étude a établit que les brésiliens tendent à se classifier dans six catégories principales de couleur de peau: “branca (41%), clara, morena-clara, morena (34%), parda, preta (5%)”. Lorsque l’on agrège les catégories intermédiaires - clara, morena-clara et parda - se sont près de 47% de la population qui s’identifient à ces catégories. Lorsqu’on utilise uniquement trois catégories (blanc, pardo et blanc): le terme “pardo” ne regroupe plus alors que 28%, blanc montant alors à 54% et noir à 8% (3).

 

Lors du recensement de 2010, les personnes s’identifient à: 48% comme blancs, 43% comme pardo et 8% comme noirs. Le nombre de personnes qui s’identifient comme pardo est ainsi en augmentation tendant à s’identifier à l’usage du terme “moreno” utilisé dans la vie quotidienne (4).

 

A l’inverse, il peut exister dans l’extrême-droite portugaise, une tendance à ne revendiquer que des origines celtes, via l’idée de “race lusitanienne”. Il s’agit alors de lutter contre l’idée que les portugais seraient mélangés avec des africains - noirs ou arabes - et des personnes d’origines juives.

 

Par ailleurs, on trouve au Portugal tout un mouvement qui vise à visibiliser les origines noires, arabes et juives des Portugais. Par exemple, en rappelant que Cristiano Ronaldo avait un grand-mère Cap Verdienne (5).

 

Ainsi cette tendance peut être rapprochée du luso-tropicalisme qui fut une idéologie utilisée aussi bien au Brésil qu’au Portugal pour affirmer que la population portugaise et brésilienne est un métissage d’européens et d’africains.

 

Néanmoins, cette idéologie du métissage peut également conduire à l’invisibilisation du racisme. Historiquement, le pouvoir au Brésil a été détenu par des blancs et des métis clairs de peau (des blancs-métis). Le luso-tropicalisme a servi entre autres justifier le maintien de la colonisation portugaise en Afrique.

 

 

Les quotas à l’Université et l’hétéro-catégorisation

 

Les statistiques ethniques au Brésil ont fait apparaître d’importantes inégalités en défaveur des personnes catégorisées comme noires, plus encore pour pour les personnes d’origine indiennes ou asiatiques.

 

Afin de lutter contre ces inégalités, les universités ont mis en place des quotas en faveur des personnes afro-descendantes (noires ou métis foncées).

 

Néanmoins, la tendance d’une partie significative de la population à s’auto-catégoriser comme “métis”, voir à se catégoriser ainsi pour tirer bénéficier des quotas, pose certaines difficultés. En effet, nombreux sont les brésiliens à avoir génétiquement des ascendances noires, mais sans en avoir les caractéristiques phénotypiques.

 

Ainsi, des Universités ont mis en place des commissions chargées de vérifier le bien-fondé des auto-catégorisations à l’entrée aux universités. Il s’agit de vérifier que les individus présentent bien des caractéristiques phénotypiques “noires” (et non une ascendance “noire”). Il s’agit de distinguer ainsi entre trois sous-groupes: “pardo-branco”, “pardo-pardo”, “pardo-preto” (6). La commission est composée de plusieurs personnes pour essayer de diminuer les différences subjectives d'appréciation des caractéristiques phénotypiques.

 

Conclusion:

Le cas brésilien et les catégories de la langue portugaise mettent en valeur trois difficultés:

  • les variations individuelles ou non qui peuvent exister entre l'appréciation phénotypique de la personne et la manière dont elle même se perçoit (7).

  • la variation de la perception raciale en fonction de la position sociale économique (8)

  • l’usage qui peut être fait des notions de “pureté de la race” ou au contraire de “métissage” pour justifier ou invisibiliser les discriminations raciales.

  • l’insuffisance du simple recours à l’auto-catégorisation, mais également les difficultés posés par les termes utilisés, pour objectiver les discriminations raciales.

 

Article Sur les “Blancs, les métis et les afro-descendants” sur le site de l’Institut des femmes noires: https://www.geledes.org.br/sobre-brancos-mesticos-e-afroconvenientes/

 

Image illustrant les conceptions raciales aux USA et au Brésil -

https://me.me/i/us-classification-vs-ean-khi-traditional-brazilian-classification-black-dr-11268657

 

Références:

 

(1) “11 points que seulement une personne qui n’est pas noire ou blanche va comprendre” - (point 6)

https://www.buzzfeed.com/irangiusti/coisas-que-so-quem-nao-e-branco-nem-negro-vai-entender?utm_term=.vcVKNqvpP#.drv3gb0qx

 

La couleur des célébrités révèlent les critères raciaux au Brésil:

http://www1.folha.uol.com.br/fsp/especial/fj2311200827.htm

 

(2) “Les portugais sont-ils blancs ?” -

https://br.answers.yahoo.com/question/index?qid=20090430112421AAdVWDo

 

(3) Etude sur les perceptions subjectives des catégories raciales - https://www.rebep.org.br/revista/article/view/478/pdf_453

 

(4) La video suivante souligne comment le nombre de personnes qui s’identifient comme “pardos” augmente. L’entretien montre le cas de personnes qui s’identifient comme “pardos”:

https://www.youtube.com/watch?v=uJHfU14msXI

 

(5) Les créoles fameux - du Marquis de Pombal à Cristiano Ronaldo - http://www.expressodasilhas.sapo.cv/opiniao/item/41480-crioulos-europeus-famosos-%E2%80%93-do-marques-de-pombal-a-cr7

 

Le Madérien Cristiano Ronaldo illustre le type physique de la personne de peau “morena” ou “oliva” en portugais: https://pt.wikipedia.org/wiki/Pele_bronzeada

 

(6) Les candidats noirs devront se présenter pour prouver leur couleur - http://agenciabrasil.ebc.com.br/geral/noticia/2016-08/governo-define-regras-para-candidatos-negros-em-concursos-publicos

ou encore:

https://marcosalmeidalocutor.wordpress.com/2016/08/03/governo-define-regras-para-candidatos-negros-em-concursos-publicos/

 

(7) Etude sur les catégories de perceptions phénotypique au Brésil: Etude sur sur la concordance entre auto-catégorisation et hétéro-catégorisation (2009)

http://www.scielo.br/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0102-79722009000200013

 

(8) Des études montrent ainsi que l’appréciation phénotypique d’une personne peut varier selon la manière dont elle est habillée: costume trois pièces ou bleu de travail -

https://hypescience.com/roupas-influenciam-nossa-percepcao-de-raca/