Que sont les micro-injustices ?

 

On appellera ici micro-injustices l'ensemble de petits propos ou de petits comportements qui par l'accumulation répété dans le temps peuvent contribuer à produire des oppressions et des inégalités systémiques à l'égard des personnes issues de groupes socialement minorés. Il ne sont pas nécessairement consciemment perçus comme tels par les personnes qui en sont les auteurs. Les micro-injustices, sous la forme des micro-agressions ou des micro-violences, ont été explorée par la psychologie sociale, le sociologie ou encore la philosophie.

 

Micro-agressions : Cette notion a été théorisée en 1970 le psychiatre Chester Pierce. ce terme désigne des propos ou des attitudes qui semblent insignifiants, mais qui renforcent des stéréotypes négatifs. Le problème des micro-agressions est leur répétition. Elles contribuent à construire la « menace du stéréotype ». Il s'agit de l'image liée au stéréotype négatif qu'intériorise une personne appartenant à un groupe socialement stigmatisé. Parmi les micro-agressions figurent les micro-insultes, les micro-attaques ou les micro-invalidations.

(http://www.apa.org/monitor/2009/02/microaggression.aspx)

 

Ainsi, le « mansplaining » (quand un homme explique à une femme une réalité qui la concerne) ou le « whitesplaining » (quand une personne bénéficiant du « privilège blanc » invalide une personne racisée sur son ressenti raciste) constituent des micro-agressions.

 

Une autre forme de micro-agression consiste dans le « tone policing ». Il s'agit de reprocher à une personne d'un groupe socialement minoré de s’énerver lorsqu'elle dénonce les injustices sociales quotidiennes qu'elle subie.

 

La « langue macho » désigne une autre forme de micro-agression. Elle désigne un ensemble de comportement observés plus systématiquement chez les hommes lors des prises de parole dans une assemblée : coupée la parole (« manterrupting », ignorer une remarque qui a été faite avant, la reprendre à son compte comme si la personne auparavant ne l'avait pas énoncé… (http://ickevald.net/resistance/oppressionbillmoyers )

 

Une image populaire compare souvent les micro-agressions à la répétition quotidienne de piqûres de moustiques qui finissent par agacer la personne à la longue (https://www.youtube.com/watch?v=hDd3bzA7450&list=PLRIqof8QwMZQKgiz4xKVswZlR8SA_JgTm&index=1)

 

Cette approche a été par le suite complétée par le travail de Mary Rowe.

 

Micro-inégalités : cette notion a été théorisée dans une étude en 1973 aux Etats-Unis par Mary Rowe. Son étude a visé à montrer que de toutes petites différences qui semblent insignifiantes en s'accumulant conduisent à construire les inégalités de trajectoire professionnelle entre les hommes et les femmes. Ces micro-injustices ne sont pas nécessairement conscientes de la part de celui ou de celle qui les met en œuvre. (https://ombud.mit.edu/sites/default/files/documents/micro-affirm-ineq.pdf )

 

Au sein des micro-injustices, l'auteure a distingué plusieurs autres sous-catégories telles que :

 

Micro-avantage (ou « micro-affirmation ») : Le micro-avantage est l'inverse de la micro-discrimination. Elle consiste inconsciemment à fournir de petits avantages à certaines catégories de personnes. L'ensemble des micro-discriminations et des micro-avantages répétés à long terme contribuent à construire des inégalités structurelles.

 

Micro-messsage : Ces micro-agressions ne sont pas que verbaux, cela peut être également des comportements non-verbaux qui envoient des micro-messages aux personnes issues de groupes socialement minorés et contribuent à agir sur l'estime qu'ils ont d'eux-mêmes.

 

Les micro-messages peuvent être dans la manière dont les propos sont dits ou encore dans une réaction à un comportement (feedback).

 

Les notions suivantes sont utilisées plus largement par d'autres auteurs :

 

Micro-discrimination ou discrimination micro-interactionnelle : Les micro-discriminations constituent des petites différences qui peuvent également par leurs répétitions contribuer à construire des inégalités à un niveau plus macro. Néanmoins, leur faible impact pris isolément fait qu'ils ne peuvent pas être appréhendés par la loi. Ces micro-discriminations ne sont pas toujours conscientes d'autant plus qu'elles peuvent être passives. Le fait de traiter de la même manière deux personnes peut contribuer par « indifférence aux différences » sociales à construire des inégalités sociales. Parmi les micro-discriminations, on peut également citer l'invisibilisation qui consiste à fait comme si un groupe socialement minoré n'existait pas, à l'inverse certains groupes sociaux stigmatisés sont victimes d'une surexposition négative.

 

Micro-violence : La notion de micro-violence est utilisée pour désigner des formes de violences qui pris isolément ne tombent pas sous le coup de la loi. En revanche, leur accumulation, comme dans le cas du harcèlement au travail et à l'école, peut être sanctionné par le droit. Le cas de micro-violence permet d'illustrer la manière dont les micro-injustices qui apparaissent isolément sans trop de gravité peuvent par leur répétition avoir des conséquences bien plus graves.

 

Conclusion : Que faire : « Discrimination négative », « Indifférence aux différences », « Egalité de traitement », « Discrimination positive » ?

Dans le cas de la lutte contre les inégalités sociales, l'égalité de traitement risque d'être insuffisante. Il est sans doute nécessaire de mettre en œuvre des pratiques de discriminations positives.

Ainsi, dans un espace inclusif, il ne s'agit pas de se contenter d'un principe démocratique de droit à la parole égale pour tous. Il faut l'assortir d'une règle qui limite les propos ou les attitudes stigmatisant un groupe socialement minoré.

Dans une salle de classe, il ne s'agit pas de se contenter de faire de la différentiation pédagogique, mais de faire en sorte que cette différentiation lutte contre la reproduction des inégalités sociales.

Dans la lutte contre les inégalités filles/garçons, il ne s'agit pas seulement de mettre en œuvre un traitement égal, mais de mettre en œuvre des pratiques qui permettent de déconstruire les rôles sociaux de genre qui maintiennent ces inégalités sociales.

 

Références :

 

Synthèse sur les micro-messages et leur impact dans la salle de classe

(www.nj.gov/education/cte/cerc/modules/micromessaging.pptx )

 

«  Micro-agressions : Comment savoir si vos remarques sont discriminantes et comment changer ? » (2015) – URL : http://www.slate.fr/story/100587/microagressions-test-solution

 

« Manterrupting : le sexisme ordinaire sur la voix publique » (2017) . URL : http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/03/02/manterrupting-sexisme-sur-la-voix-publique_5088231_3224.html

 

« La menace du stéréotype » - URL : http://www.prejuges-stereotypes.net/espaceDocumentaire/gabarrot.pdf

 

Sur la question des discriminations à l'école et de la manière dont elles peuvent se construire par des micro-discriminations. URL : http://www.ardis-recherche.fr/files/files_synthesis_745.pdf

 

 

Simon Lemoine, « Les micro-violences : le régime de pouvoir du quotidien ». (une approche foucladienne) URL : http://www.lesinrocks.com/2017/04/18/idees/comment-resister-aux-micro-violences-du-quotidien-11933008/