Les femmes de Madère dans la Révolte du lait de 1936

Le texte ci-dessous illustre moins le féminisme, l'anti-fascisme ou un point de vue prolétarien de l'Assemblée législative de Madère que la construction d'une mémoire qui vise à justifier un pouvoir politique autonome à Madère. En effet, ce texte participe de la construction d'une interprétation des rapports entre Madère et sa métropole : une histoire qui serait marquée par l'exploitation et la répression, celle d'une vision d'une métropole maltraitante. Le fascisme n'étant alors que le visage extrême de cette histoire. Cette situation était en particulier symbolisé dans l'histoire de Madère par le contrat de colonie, instauré spécifiquement à Madère et considéré depuis 1977 comme anti-démocratique: il permit de maintenir un régime de féodalité dans l'archipel jusqu'à la Révolution des oeillets.

 

Traduction :

 

9 août 2013, Assemblée législative de la région autonome de Madère.

 

Juste hommage aux femmes de Madère qui ont participé à la révolte du lait en 1936.

 

 

Les femmes de Madère ont donné une grande et importante contribution au processus de contestation du modèle d'organisation du secteur du lait prévu et imposé par le gouvernement de Salazar à travers le décret loi n°26655 du 4 juin 1936.

 

Dans tous les conseils qui ont participé dès le début à la Révolte du lait – Santana, Machico, Santa Cruz, Funchal, Camara de Lobos, Ribeira Brava et Ponta do Sol -, les femmes ont agit avec les hommes dans les protestations et les manifestations de rue, en affrontant la police.

 

Cependant, on n'a pas retrouvé le compte du nombre exact de femmes emprisonnées, surtout au niveau des conseils, nous en savons néanmoins assez pour pouvoir dire que leur participation a été significative et vigoureuse.

 

Néanmoins, leurs conditions d'emprisonnement furent plus dégradantes que celles des hommes. Aussi bien les femmes emprisonnées à Funchal que celles envoyées à Lisbonne furent incarcérées avec des prostituées, dans une situation qui scandalisa la société maderienne d'alors, car ce fut à Funchal que l'on eu connaissance de ce fait.

 

Dans leur majorité, les prisonnières étaient des femmes mariées, des personnes respectables, comme cela a été souligné dans la presse d'alors, ou par Cesar Miguel Teixeira da Fonte, qui fut également un des prisonniers de la révolte, dans un document envoyé à Oliveira Salazar et au Ministre de l'Intérieur du Pays.

 

Le groupe envoyé à Lisbonne était constitué par des jeunes, presque toutes célibataires et mineures (moins de 21 ans), comme le constate le document de l'avocat José d'Albuquerque Rodrigues qui, en sa qualité d'avocat des détenues, a intercédé pour elles toutes auprès du pouvoir salazariste, en l'espèce le Ministère de la Justice et la PVDE ».

 

La « Révolte du lait », soulèvement populaire qui a eu lieu à Madère en 1936 est une protestation contre un décret-loi qui établit le monopole sur l'industrie laitière, à travers la création d'une Agence nationale des laiteries de Madère, une décision qui a des conséquences dévastatrices, notamment pour le monde rural et pour les petits producteurs, aggravant ainsi les difficiles conditions économiques et sociales que vivent les habitants de l'archipel.

 

A l'époque, le secteur des laiteries possède un poids très important dans l'économie de Madère et contribue pour une part significatif à la vie de beaucoup de familles de la Région, ce qui peut être corroboré par l'existence d'un peu plus d'un millier de points de dépôt répartis dans toute l'île, lesquels servent directement 64 usines. Le lait qui arrive de ces points provient directement du bétail élevé par de petits producteurs et qui avec la recherche du lait, de la part des unités productrices, est largement supérieur à l'offre, les prix pratiqués sur le marché sont souvent compensés.

 

L'intervention du gouvernement Central, matérialisé par le décret loi, est venu altérer tout cela. L'impact des mesures préconisées par ce texte – la réduction significative de la valeur offerte pour le lait, la fermeture de nombreux points de dépôt et en conséquence l'augmentation du chômage – devient ainsi insoutenable et grave au point qu'ils provoquent des soulèvements populaires en peu de temps dans toute l'Ile.

 

La mobilisation de milliers de paysans, auquel se sont associés d'autres couches sociales madèriennes – s'est répandu dans pratiquement toute l'Ile, et ainsi par sa combativité, cette insurrection a assumé un caractère de soulèvement populaire dans le sens strict du terme. Un soulèvement populaire qui a eu comme cause première une raison économique, la réaction contre le décret gouvernemental qui sacrifie les intérêts des petits producteurs de lait au profit des grands intérêts économiques -, en est venu à assumer un caractère réellement politique par l'affrontement avec l'appareil d’État fasciste et les aspects marquant de sa politique.

 

Il ne serait pas déplacé de dire que la Révolte de la Grande Marine du 18 janvier 1934 fut la première grande action autonome de la classe ouvrière contre l'action législative du régime corporatiste fasciste de l’État Nouveau et en défense de la liberté syndicale. La révolte du lait fut la première grande action des paysans et des petits producteurs contre la politique économique du fascisme, politique qui visait la concentration et la centralisation du capital, comme recours à une action coercitive de l’État ou de ce qui fut la matrice conductrice de la politique économique du régime jusqu'à 1974.

 

Le soulèvement populaire de Madère durant l'été 1936 ne peut être détaché du contexte national et international de l'époque.

 

Les moyens militaires – de l'armée et de la marine – et les moyens policiers que l’État s'est vu forcé de mobiliser pour mater le soulèvement populaire furent énormes. La brutale répression, avec des centaines de prisonniers et de nombreux morts et blessés, doit être mis en parallèle avec la vague répressive mise en œuvre contre la révolte des marins en septembre 1936, violence qui a été accompagnée jusqu'à son plus haut niveau, y compris par l'intervention directe de Salazar.

 

Les ordres du gouvernement quant à la nature que la répression devait prendre ne laisse aucun doute sur l'importance que le régime attribuait aux événements et à la manière dont il évaluait le climat politique et social dans la Région, déterminant que le désordre « doit être inexorablement réprimé » et déclarant que « le gouvernement est résolu à mettre un terme à l'impunité existant dans l'archipel ». Le Ministre de l'Intérieur, qui défendait que la répression devait être brutale au point qu'elle en finisse avec une quelconque volonté de protestations futures, ordonnait que « tout mouvement qui de nouveau émergeait comme réaction contre les mesures prises ou à prendre, quelque soit le prétexte, doit être immédiatement et sévèrement réprimé et de telle manière que les gens de Madère se convainquent qu'il est inutile et préjudiciable de lutter contre un Etat qui seulement recherche son bien ». Ces paroles démontrent bien à quel point ces mouvements sociaux étaient craints, qu'ils soient présents ou futurs, et l'idée que toute révolte pouvait déclencher un processus difficile à contrôler s'il n'était pas étouffé à la naissance et que l'on n'ancrait pas dans la population la peur de la répression.

 

L'action répressive exercée sur la population est brutale et implacable. Des centaines de personnes sont emprisonnées. Les villages sont mis sous couvre-feu et les habitant emprisonnées et torturés, parfois même devant leur propres familles, selon des récit de l'époque, neuf paysans ont été tués.

 

Quand la PVDE – la police de vigilance et de défense de l’État (l’ancêtre de la PIDE), aidée par les forces de police, ne parvient pas à localiser ceux qu'elle recherche, elle n'a pas de scrupule à emprisonner les proches des suspects, qui indépendamment de l'âge ou du sexe, sont incarcérés dans la Prison de Lazareto, à Funchal, où les conditions sont particulièrement atroces. Les prisonniers sont maintenus dans un espace minuscule, avec peu d'aération et presque sans lumière naturelle. Les déjections sont entassées dans des bidons d'huile. Parmi les prisonniers, on trouvent quatre enfants de onze ans dont l'unique crime est d'avoir porté le même nom que les autres.

 

En Octobre 1936, certains des prisonniers ont embarqué sur le navire « Luanda », certains vers les Açores, où ils ont été emprisonnés dans la Forteresse de S. Jean Baptiste, et d'autre déportés au Cap Vert, où ils ont été placé dans le camp de concentration du Tarrafal.

 

En plus de la répression, l’État Nouveau a été plus loin dans l'humiliation du peuple de Madère (exemple de la haine nourrie par le régime fasciste à l'encontre des populations insulaires), avec le décret-loi n°26.982, du 5 septembre 1936, qui établit que les dépenses résultant de l'insurrection seront payées (et à des prix exorbitants…) par les habitants de l'Ile de Madère, principalement par les habitant des conseils où la révolte a été la plus intense.

 

Durant cette révolte populaire, les femmes ont lutté au côté des hommes dans la défense de leurs justes droits, contre l'autoritarisme du régime et les mesures iniques qu'il a tenté d'imposer, souffrant d'une manière identique les conséquence de la répression qui s'est abattue sur ceux qui ont osés s'insurger contre la dictature. Elles ont été en première ligne de l'insurrection, agissant avec combativité et détermination. Des dizaines ont été emprisonnées et sujettes à des traitements dégradants, lors d'interrogatoires et durant la détention, d'où s'est détaché, entre autres, Augusta Mendes, Conceiçao Freitas Caldeira, Josefina de Freitas Caldeira, Virginia de Freitas Caldeira, Caroline Fernandes Caniço, Isabel Castro, Maria Cezaria Rosa da Conceiçao, Perpétua da Conceiçao, Maria da Corte, Tereesa da Corte, Maria Gomes Duarte, Augusta da Encarnação, Carolina Gonçalves Farinha, Rosa Fernandes, Agostinha de Freitas, Rosa de Freitas, Georgina Franco de Freitas, Maria Gomes, Ana de Gouveia, Maria Gonçalves Jardim, Luísa de Jesus, Luzia de Jesus, Maria de Jesus, Maria José, Virgínia Gomes Luís, Maria Marques, Maria Mendonça, Libânia Nunes, Sofia Nunes, Rosa Pereira, Matilde da Ponte, Maria do Sacramento, Maria da Silva, Iria de Sousa e Cristina Teixeira, emprisonnées, accusées, et cependant non condamnées, certaines ont passé près d'un an dans la Prison de Funchal.

 

Et dix d'entre elles furent l'objet d'un « traitement spécial » de la part du régime fasciste, en étant transféré vers le Continent, jugées et condamnées par un Tribunal Militaire et après soumise à une peine dans la « Prison des Monicas » à Lisbonne : Ludovina de Jesus da Corte, Agostinha da Câmara, Francisca Andrade, Maria de Jesus Silva, Maria Rosa de Abreu, Maria de Jesus Andrade, Conceição da Câmara Rodrigues, Tereza da Corte, Virgínia de Jesus e Maria de Souza.

 

Par leur courage, par leur lutte pour des meilleurs conditions de vie et contre le fascisme et du fait des souffrances et dégradations auxquels elles ont été soumises, ces femmes méritent ainsi le juste hommage et la reconnaissance que leur doit la Région Autonome de Madère.

 

Ainsi, en conformité avec la Constitution de la République Portugaise et avec le statut Politico-Administratif de la Région Autonome de Madeire, et en accord avec le Régime, l'Assemblée législative de la Région Autonome de Madère a décidé de rendre hommage publiquement aux femmes maderiennes qui ont participé à la « Révolte du lait » de 1936, qui ont été en première ligne de combativité et de détermination, qui ont été emprisonnées et torturées, sujettes à des vexations et à un régime d'emprisonnement dégradant, donnant ainsi une visibilité publique au nom de la Région, aux femmes de Madère qui durant la Révolte du lait ont le plus souffert de la dure répression, et en particulier les dix femmes qui ont été envoyé au Continent, jugés et condamnées par le Tribunal Militaire Spécial et qui ont été emprisonnées à Monicas, à Lisbonne.

 

Aprovada em sessão plenária da Assembleia Legislativa da Região Autónoma da Madeira em 4 de julho de 2013.

 

 

O PRESIDENTE DA ASSEMBLEIA LEGISLATIVA, José Miguel Jardim Olival de Mendonça.  

 

 

Documents pour compléter:

 

 

1931: Révolte de la farine et révolte de Madère.

URL: http://www.dnoticias.pt/opiniao/artigos/508712-a-proposito-da-revolta-de-madeira-de-1931-MPDN508712

 

1934: La révolte de Marinha Grande: révolte du prolétariat portugais contre  l'instauration de syndicats corporatistes. URL: https://www.youtube.com/watch?v=eMEBMOlWJCg

 

1936: Ouverture du camp de concentration de Tarrafal  où sont déportés les opposants au régime fasciste.  URL: https://fr.wikipedia.org/wiki/Camp_de_Tarrafal

 

Video sur le Camp de concentration de Tarrafal : https://www.youtube.com/watch?v=_M7CczvrAJw

 

1977: Décrêt qui abolie le contrat de colonie - URL: https://dre.tretas.org/dre/72233/decreto-regional-13-77-M-de-18-de-outubro