La diaspora portugaise comme construction politique

 

 

L’objectif de cet article est de souligner comment la notion de “diaspora portugaise” fait l’objet d’une construction politique par l’Etat portugais. Alors que les portugais sont vus souvent comme un groupe bien intégrés en France, pour autant paradoxalement plus qu’aucun autre groupe immigrés sans doute, ils font l’objet d’une construction politique par leur Etat d’origine.

 

Les critères de la notion de diaspora

 

La notion de diaspora est appliquée à un groupe ethnique ou national qui est dispersé à travers le monde.

 

Michel Bruneau indique trois critères qui caractérisent une diaspora:

- la conscience et le fait de revendiquer une identité ethnique ou nationale.

- l'existence d'une organisation politique, religieuse ou culturelle du groupe dispersé (vie associative).

- l'existence de contacts sous diverses formes, réelles ou imaginaire, avec le territoire ou le pays d'origine (l'intégration d'un groupe diasporé ne signifie pas l'assimilation dans le pays d'accueil).


La construction politique de la diaspora portugaise


La construction politique de l’immigration portugaise comme une diaspora remonte au moins à l’époque du salazarisme. Afin de contrôler les populations immigrées par exemple en France sont mis en place des cours de portugais à destination des enfants dans les bidonvilles où l’on continue d’apprendre l’histoire et la géographie portugaise sous l’angle de l’Estado Novo.


Dès cette époque, se met en place une vie associative communautaire qui repose sur les éléments qui sont à la base de l’idéologie de contrôle du régime fasciste: le football, le folklore et Fatima (la religion). Le sociologue Albano Cordeiro a souligné l’importance de la vie associative portugaise en France.


Aujourd’hui par différents moyens, le gouvernement portugais continue d’organiser ce lien entre les personnes issues de l’immigration portugaise et leur pays d’origine. Cela passe en particulier par la télévision internationale comme RTPI. Celle-ci consacre une bonne partie de ces programmes à assurer la visibilité des activités associatives des portugais à travers le monde.


On ne peut que remarquer la grande uniformité des pratiques associatives organisées en particulier autour d’activités liées à la danse et à la musique folklorique. Il ne faut pas oublier qu’en réalité cette culture folklorique a été une tradition réinventée par l’Estado Novo qui a par exemple codifié les différents costumes régionaux.

Le discours des autorités portugaise autour de l’émigration visent à construire et entretenir le sentiment d’appartenir à une communauté internationale, à une diaspora. Pour ce faire, l’Etat portugais s’est doté d’un observatoire de l’émigration qui lui permet d’avoir une bonne connaissance sociologique des émigrés portugais de par le monde, appelé dans le discours politique “les communautés portugaises” (http://observatorioemigracao.pt/np4/home )


Ainsi, en mai 2017, une loi a été votée de manière à reconnaître la nationalité portugaise aux petits enfants d’immigrés portugais (le 3e génération issue de l’immigration). De même, des décisions ont été prises pour faciliter les actes administratifs des portugais à l’étranger auprès de leurs consulats.


Les raisons de cette construction


Depuis le XVIe siècle, l’Etat portugais se vit comme un empire répandu à travers le monde. La Communauté des pays de langue portugaise, ainsi que l’existence d’une construction d’une diaspora portugaise, permet au Portugal de pouvoir continuer à se vivre de manière imaginaire comme un pays dont l’influence déborde les frontières.


Si l’Etat portugais ne souhaite pas le retour des émigrés et si durant la crise économique, il peut encourager l’émigration, pour autant la construction d’une diaspora lui permet de maintenir une réserve économique: nombre de personnes issues de la diaspora continuent de placer de l’argent dans les banques portugaises ou d’investir dans l’immobilier, d’aller en vacances au Portugal.

 

Références:

 

Bruneau Michel. Espaces et territoires de diasporas. In: Espace géographique, tome 23, n°1, 1994. pp. 5-18.

 

Cordeiro Albano. Le paradoxe de l'immigration portugaise. In: Hommes et Migrations, n°1123, Juin-juillet 1989. L'immigration portugaise en France. pp. 25-32.

 

Eric Hobsbawm, « Inventer des traditions », Enquête [En ligne], 2 | 1995, mis en ligne le 10 juillet 2013. URL : http://enquete.revues.org/319

 

Chivallon Christine, « Retour sur la « communauté imaginée » d'Anderson. Essai de clarification théorique d'une notion restée floue », Raisons politiques, 2007/3 (n° 27), p. 131-172. URL : http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2007-3-page-131.htm