Esprit critique: Education et démocratie chez Proudhon

 

 

Les extraits suivants tirés de La révolution sociale démontrée par le coup d’Etat, reviennent sur la relation chez Proudhon entre démocratie et éducation.

 

Proudhon voit dans l’observation et l’induction, point de départ de la méthode scientifique empiriste, les bases d’une éducation démocratique. Il récuse les approches dogmatiques qui consistent à bâtir des systèmes philosophiques en s’appuyant sur un principe premier, une « arche », qui souvent a été identifiée à Dieu. La méthode inductive part des capacités d’observation de chacun. En s’appuyant sur les capacités d’observation des élèves, on leur apprend à juger par eux-mêmes des faits, au lieu de s’appuyer sur une autorité transcendante qui en garanti la véracité, que cette autorité soit Dieu, l’Etat ou l’enseignant.

 

Ainsi, lorsque Bacon, Ramus et tous les libres penseurs eurent renversé l'autorité d'Aristote, et introduit, avec le principe d'observation, la démocratie dans l'école, quelle fut la conséquence de ce fait ? La création d'une autre philosophie ! Plusieurs le crurent, quelques-uns le croient encore. Descartes, Leibnitz, Spinoza, Malebranche, Wolf, aidés des nouvelles lumières, se mirent, sur cette table rase, à reconstruire des systèmes. Ces grands esprits, qui tous se réclamaient de Bacon, et souriaient du Péripatétique, ne comprenaient pas cependant que le principe, ou, pour mieux dire, la pratique de Bacon, l'observation, directe et immédiate, appartenant à tout le monde, le champ où elle s'exerce étant infini, les aspects des choses innombrables, il n'y avait pas plus de place dans la philosophie pour un système que pour une autorité. Là où les faits seuls font autorité, il n'y a plus d'autorité; là où la classification des phénomènes est toute la science, le nombre des phénomènes étant infini, il n'y a plus qu'un enchaînement de faits et de lois, de plus en plus compliqué et généralisé,jamais de philosophie ni première ni dernière.

 

Proudhon récuse le rationalisme et l’idée d’une raison a priori. Le point de départ de la connaissance réside dans l’observation sensible. Il s’agit là de la base de l’esprit critique. Celui-ci consiste à renvoyer au rang d’illusion toute connaissance qui prétend être produite a priori sans s’appuyer sur des faits observables:

 

Au lieu donc d'une constitution de la nature et de la société, la nouvelle réforme ne laissait à chercher que le perfectionnement de la critique, dont elle était l'expression, c'est-à-dire, avec le contrôle imprescriptible et inaliénable des idées et des phénomènes, la faculté de construire des systèmes à l'infini, ce qui équivaut à la nullité de système. La raison, instrument de toute étude, tombant sous cette critique, était démocratisée, partant amorphe, acéphale. Tout ce qu'elle produisait de son fonds, en dehors de l'observation directe, était démontré à priori vide et vain ; ce qu'elle affirmait jadis et qu'elle ne pouvait déduire de l'expérience, était rangé au nombre des idoles et des préjugés.

 

[...]

Proudhon récuse la capacité de la raison humaine à produire une connaissance absolue. Elle est juste capable d’une perfectibilité infinie. Il y a donc chez lui un lien entre la critique de la connaissance de l’absolu et une conception politique démocratique. L’égale capacité de critique des citoyens ne peut être postulée que dans le cadre d’une épistémologie empiriste.

 

Cultivons, développons nos sciences; cherchons-en les rapports; appliquons-y nos facultés; travaillons sans cesse à en perfectionner l'instrument, qui est notre esprit : voilà tout ce que nous avons à faire, philosophes, après Bacon et Kant. Mais des systèmes ! La recherche de l'absolu ! Ce serait folie pure, sinon charlatanerie, et le recommencement de l'ignorance.

[...]

Proudhon forge le terme de démopédie. Cette notion désigne l’éducation du peuple. Il voit dans la pratique de la démocratie, une éducation du peuple. La démocratie entend donner au peuple le pouvoir de décider. Elle s’appuie sur les capacités de jugement des citoyens. C’est en exerçant leur pouvoir démocratique, que les citoyens s’éduquent. II n’y a pas d’un côté la théorie et de l’autre la pratique. C’est par la pratique que les citoyens dans la démocratie augmentent leurs capacités à juger.

Je me rallie sans réserve aux hommes honnêtes de tous les partis, qui, comprenant que démocratie c'est démopédie, éducation du peuple; acceptant cette éducation comme leur tâche et plaçant au-dessus de tout la LIBERTÉ, désirent sincèrement, avec la gloire de leur pays, le bien-être des travailleurs, l'indépendance des nations , et le progrès de l'esprit humain.

Conclusion:

 

Proudhon établit une double relation entre éducation et démocratie. L’éducation par le recours à la méthode de l’observation comme justification du jugement forme implicitement les élèves à la pratique démocratique.

De son côté, la démocratie car elle met chacun en situation de devoir juger par soi-même est un régime politique qui favorise l’éducation du peuple.

 

Dans les deux cas, Proudhon met en avant aussi bien dans l’éducation que dans la démocratie, des pratiques de formation du jugement critique. 

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