Un cours de philosophie de l'éducation à UCLA à l'ère numérique

Un cours de philosophie de l'éducation à UCLA en 2012

 

Spécialiste de la philosophie de l'éducation et de l'éducation aux médias, Douglas Kellner présente dans cet extrait d'entretien publié en 2012 sa vision de la place des nouvelles technologie de la salle de cours à l'Université.

 

Extrait d'un entretien avec Douglas Kellner (2012) :

 

Douglas Kellner est un universitaire américain appartenant à la troisième génération de l'école de Francfort. Il a été un des premiers théoriciens dans le domaine de l'éducation critique aux médias et de la culture médiatique en général. Dans ses travaux les plus récents, il affirmé que la culture médiatique est dominée par les formes du spectacle et du méga-spectacle. Il a également contribué à des études importantes sur les processus d'altermondialisation et s'est toujours occupé des mouvements contre-hégémoniques et des expressions culturelles alternatives au nom d'une société plus radicalement démocratique. […] Plus récemment, il est connu pour son travail d'exploration des potentiels politiquement oppositionnels des nouveaux médias et a tenté de définir ce qu'il appelle des « technolittératies multiples » comme un mouvement éloigné de la tentative d'une standardisation entrepreneuriale de l'informatique. Auparavant, Kellner a été l'exécuteur littéraire du célèbre cinéaste documentaire Emile de Antonio et supervise actuellement la publication des six volumes de recueils d'articles du philosophe critique Herbert Marcuse. Actuellement Kellner occupe la chair de philosophie de l'éducation à l'Université de Los Angeles en Californie.

 

[…]

 

Qu'est-ce qui fait un bon professeur aujourd'hui ? Comment réussissez-vous à capter l'attention dans une époque caractérisée par un déficit d'attention et un trop plein d'information ?

 

Avec la montée des réseaux sociaux, en particulier de Facebook et de Twitter, il semble que la communication superficielle, l'auto-promotion et la banalité arrivent à dominer l'utilisation des nouvelles technologies chez les jeunes, et comme je le constate, la culture du livre semble menacée.

 

Face à ce contexte, il est plus important que jamais d'enseigner la lecture profonde, l'interprétation philosophique des textes, la pensée critique, le dialogue, et la pertinence des livres pour la vie contemporaine. Je dois souligner que même si je maintiens toujours une approche basée sur les classiques, le grands livres, je l'ai élargit pour y inclure le canon multiculturel. Je rejette complètement la dichotomie qu'effectuent Harold Bloom et ses disciples qui opposent les Classiques – les grands livres – à l'approche multiculturelle, politiquement correcte. Ainsi, par exemple dans mon séminaire de philosophie de l'éducation à l'UCLA qui commence par Rousseau et la modernité, je commence par l'Emile, j'explique la philosophie de l'éducation de Rousseau, puis j'aborde Défense des droits de la femme de Mary Wollstonecraft qui effectue une critique directe de Rousseau et de ses préjugés sexistes, et qui plaide pour l'importance pour les femmes d'avoir accès à l'éducation et à d'autres droits égaux aux hommes. Je passe ensuite à l'époque progressiste avec Education et démocratie de John Dewey et je délaisse les textes philosophiques classiques pour aborder une roman, The Bluest Eye de Toni Morrison, que je considère comme pédagogique particulièrement pour comprendre comment l'environnement, les groupes sociaux et les relations sociales constituent une forme importante de pédagogie. En m'orientant vers La pédagogie des opprimés de Paulo Freire, j'indique les similitudes entre les quatre philosophies de l'éducation, mais je précise comment Wollstonecraft et Dewey ont explicitement un programme de réforme libérale, alors que Freire a un programme plus révolutionnaire. J'aborde ensuite des articles choisis parmi les théoriciens critiques contemporains (comme WEB DeBois, Herbert Marcuse, Gloria Anzahldua, Ivan Illich et des exemples tirés du taoïsme ou des philosophies asiatiques de l'éducation) pour couvrir des perspectives critiques à partir d'une diversité de genre, de race, de classe, et de théories politiques, qui me permette de compléter sans les remplacer les philosophes classiques.

 

J'enseigne le séminaire de philosophie de l'éducation historiquement et contextuellement, en exposant la situation socio-historique des Lumières, l'avènement de la modernité, l'ère des révolutions démocratiques et le développement des sociétés modernes comme contexte pour le développement de la philosophie de l'éducation et des concepts changeants de l'éducation. J'indique comment les textes de Rousseau, de Wollostonecraft, de Dewey, de Freire éclairent l'environnement social et montre comment leurs idées, ainsi que celle des autres théoriciens et romanciers que nous lisons, constituent la base d'une philosophie globale de l'éducation pour l'époque actuelle. Je souhaite souligner comment j'accorde une place à un roman dans chaque cours, en déconstruisant les oppositions entre la philosophie et la littérature, en arguant que chaque roman contient des thèmes philosophiques et des visions du monde, tandis que chaque texte de philosophie contient des récits et des tropes littéraires, outre des concepts et des théories.

 

Bien que mon approche soit basée sur le texte, elle essaie de lire le monde à travers le texte, comme Freire le fait valoir ou de montrer comme le texte contribue à des problématiques comme la philosophie de l'éducation ou la théorie démocratique. Pour m'assurer que nous nous concentrons sur le texte et les idées, j'interdis les téléphones portables et les tablettes dans la salle de séminaire, et j'envisage même d'interdire les ordinateurs dans la classe, même si je me rends compte que certains étudiants utilisent des ordinateurs pour prendre des notes de cours et googler des noms ou des idées qui ne leurs sont pas familiers. Néanmoins, une fois, j'ai vu une étudiante assise à côté de moi faire du shopping en classe sur son ordinateur, et on me rapporte de plus en plus d'histoires sur la façon dont les élèves et les étudiants utilisent les ordinateurs dans la salle de cours pour mettre à jour leur profil Facebook, jouer à des jeux, ou tout simplement surfer. Afin d'avoir des discussions plus nourries et une meilleure participation, j'envisage d'interdire totalement les ordinateurs dans la salle de cours.

 

Ce n'est pas de la technophobie car j'ai été l'un des premiers professeurs de philosophie à avoir un ordinateur, à utiliser Internet pour la recherche, à créer mon propre site Web et à utiliser des ordinateurs pour de chats en classe ainsi que des recherches. Mais à l'ère des réseaux sociaux et des nouveaux médias, les nouvelles technologies ne sont plus sous contrôle et nous devons réfléchir et discuter du rôle des livres, des ordinateurs et des nouveaux médias, dans les séminaires d'éducation.

 

 

Annexe:

 

Un article de Douglas Kellner sur la société du spectacle et la culture médiatique:

"Media Culture and the Triumph of the Spectacle" (2004). URL: http://www.razonypalabra.org.mx/anteriores/n39/dkelner.html

 

 

 

 

 

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