Dévalorisation du travail ménager des femmes et du travail scolaire des élèves


 

Le rapport qu’entretiennent nos sociétés avec le travail est ambivalent. Cela se remarque par exemple dans la dévalorisation que connaissent le travail ménager des femmes et le travail scolaire des élèves. A quoi tiennent les processus de non-reconnaissance de ce travail ?

 

Deux formes de travail

 

Le travail ménager des femmes et le travail scolaire des élèves partagent le fait de ne pas être des emplois. Il ne s’agit donc pas d’un travail rémunéré dans le cadre de l’économie capitaliste. La rémunération fonctionne dans notre société comme un gage de valeur économique et plus largement d’utilité sociale.

 

Néanmoins, il s’agit bien dans le deux cas de travail. Le travail est une activité qui a rapport tout d’abord à la nécessite vitale. Le travail est une activité par laquelle l’être humain subvient à ses besoins vitaux. Le travail comporte toujours une dimension de contrainte: il est pris dans la nécessité naturelle. Mais le travail est également une activité à portée anthropologique. Le travail est l’activité par laquelle l’être humain s’anthropise et développe ses capacités par un effort. C’est le cas par la dimension éducative du travail scolaire. C’est le cas également dans le travail au sein de l’espace domestique: les pratiques d’entretien du foyer sont un marqueur anthropologique.

 

Les raisons de la dévalorisation sociale

 

La dévalorisation du travail domestique et du travail scolaire tiennent à deux processus différents.

 

Dans le cas du travail domestique, celui n’est pas reconnu comme un travail non seulement parce qu’il n’est pas rémunéré, mais parce qu’il ne correspond pas à une activité socialement masculine. Un travail, traditionnellement, supposait ainsi une activité d’affrontement à la nature pouvant prendre ou non la forme d’une transformation d’une matière première conduisant à la production d’un bien: la chasse, l’agriculture, l’artisanat… Il supposait donc de quitter l’espace domestique pour aller affronter les forces de la nature.

 

Dans le cas du travail scolaire, cette dévalorisation tient à une idéologie qui nie l’effort pour compenser des limites naturelles. L’idéologie scolaire traditionnelle valorise des facilités apparentes qui seraient l’expression d’un don (d’orgine divine, surnaturelle) marque d’une élection aristocratique. L’élève qui travaille beaucoup et qui a du mal à réussir est présenté comme “limité”.  Le savoir ne doit pas porter la marque d’un effort et d’un processus pour l’acquérir. Car alors le travail renverrait le savoir non plus au loisir, mais à l’activité pris dans les besoins naturels, celle des classes laborieuses.

 

Dans le discours scolaire encore actuellement, les filles sont plus souvent considérées comme besogneuses par les enseignants. Les études montrent que les filles ont le plus souvent tendance à considérer que leurs difficultés scolaires proviennent d’un manque de capacités naturelles. Les garçons ont tendance à penser que leurs difficultés proviennent d’un manque de travail, mais qu’ils possèdent les capacités pour réussir s’ils le désirait. Il suffirait juste qu’ils s’y mettent…Le recrutement des élites dans les classes préparatoires valorise les profils qui donnent l’impression de ne pas être à “fond” au lycée.

 

Travail des femmes et mathématisation du réel

 

La petite fille commence donc par faire à l’école l’expérience de son infériorité “naturelle” à travers l’affirmation de son manque de “don pour les mathématiques”.

Or les mathématiques sont par excellence, dans l’histoire de la pensée occidentale, la matière liée à la manipulation d’idéalités abstraites. Elles sont la mesure de la marque de l’intelligence.

Cette infériorité en mathématiques scelle le destin d’une infériorité sociale. C’est en effet par la matière où dominent scolairement les garçons que se fait la sélection sociale pour l’accès aux professions de l’élite sociale.

Des choix de carrière moins ambitieux sont un indicateur de la deuxième étape du destin sociale des femmes. Il s’agit avant  tout de ne pas sacrifier la vie familiale à la carrière professionnelle.

Un emploi socialement moins prestigieux, et moins rémunéré, justifie alors que ce soit en priorité l’épouse qui s’investisse dans la vie domestique et dans l’éducation des enfants. La boucle de la reproduction sociale sexuée est ainsi bouclée…

 

Investissement scolaire des filles, echec scolaire des garçons des classes populaires

 

Quelque soit le milieu social, les filles réussissent mieux à l’école que les garçons. L’investissement scolaire des filles peut s’expliquer par le fait que la réussite scolaire et la diplomation ouvre la voie à une valorisation de soi dans l’espace professionnel. Pour les filles, l’image de l’enseignante peut apparaître comme l’archétype de l’image féminine valorisée dans notre société: une femme très diplômée, exerçant une profession du care, lui permettant de concilier la vie de famille.

Chez les garçons, en particulier des classes populaires, le travail scolaire liée aux enseignantes femmes, se trouve féminisé et donc dévalorisé. Il s’agit de construire son identité masculine par différenciation avec un univers perçu comme féminin. Dans cet ethos masculin, il est plus encore valorisé de donner l’impression de ne pas travailler car c’est apparaître comme indocile aux règles scolaires qui sont des règles qui dans la classe sont posées le plus souvent par une femme.

 

 

Conclusion: Education et rapport des femmes au travail

 

La non-reconnaissance du travail dans les exemples analysés tient donc à deux dimensions. La première consiste à considérer l’infériorité du travail par rapport au don (à l’aptitude innée). La seconde consiste à considérer que le travail n'apparaît que lorsqu’il implique une confrontation et une domination de la nature. De manière générale, cette dévalorisation du travail manager et du travail scolaire tient à ce que ces deux activités rappellent à l’être humain son inscription dans la matérialité des contraintes naturelles.

Aussi bien dans le travail domestique que dans le travail scolaire, c’est en premier lieu les femmes qui pâtissent de cette non-reconnaissance du travail. Ainsi, la subjectivité sociale féminine se construit à partir de deux expériences du rapport au travail. Le travail domestique n’est pas un vrai travail: le vrai travail implique de quitter l’espace domestique. La seconde expérience est que l’effort de travail est inférieur au don. Dans les deux cas, la petite fille construit sa subjectivité avec l’expérience d’une dévalorisation de son activité et de celle des femmes en général.

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