La captation de la force collective



Proudhon a théorisé dans ses ouvrages la notion de force collective telle qu’elle s’exprime dans le travail. Il a montré comment le système de la propriété privée conduit à une exploitation de la force collective. Il est intéressant de prolonger ces analyses en étudiant la manière dont le digital labor, dans l’économie de la contribution, conduit également à une captation de la force collective dégagée par le travail.


Rappels sur la force collective chez Proudhon


Proudhon analyse le travail individuel comme étant l’expression d’une force. Marx parle pour sa part de la “force de travail”.


Mais le travail n’est pas avant tout une activité individuelle, mais sociale. La division sociale du travail est l’expression de liens de solidarité entre les travailleurs qui sont dépendants les uns des autres pour pouvoir satisfaire l’ensemble de leurs besoins.


Le produit du travail n’est pas la somme des forces individuelles, mais la résultante de la force collective. C’est-à-dire que pour pouvoir produire, il a fallu mettre en oeuvre des savoirs-faire complémentaires qui ne sont pas interchangeables.


Le travail est donc le paradigme à partir du quel peut être conceptualisé la liberté composée (ou sociale, par opposition à la liberté simple ou naturelle). Chaque individu trouve la condition de possibilité de l’augmentation de sa liberté individuelle dans la solidarité générée par la force collective.


C’est cette liberté, comme puissance collective, que s’accapare l’employeur. Il paie avec le salaire une force individuelle, mais pas le produit de la force collective.


La captation de la force collective dans le digital labor


Dans le cas du crowdsourcing (1), un produit est généré par l’intelligence collective des internautes, mais sans que cela repose sur le salariat. Il s’agit d’une activité qui s’inscrit dans le cadre de l’économie de la contribution et de la coopération, très présente dans l’économie du numérique, qui s’appuie ainsi sur les valeurs de la gratuité.


Mais si le digital labor, mis en oeuvre dans le crowdsourcing, n’est pas rémunéré, pour autant il crée une richesse qui peut être captée par des entreprises du numérique qui la commercialisent et engrangent un chiffre d’affaire grace à cette production.


L’économie de la coopération numérique pourrait ainsi induire une nouvelle phase de l’histoire de l’exploitation de l’humain par l’humain se situant après l’esclavage, le servage et le salariat. La force collective est captée, mais plus uniquement sous la forme du salariat. C’est ce que certains, à la suite de Jérémy Rifkin, qualifient de Troisième révolution industrielle.


Un nouveau système d’exploitation économique capte à son profit la puissance de solidarité des travailleurs. L’économie libérale théorise les travailleurs comme des individus, mais en réalité l’exploitation s’appuie, comme toujours, sur l’appropriation non pas seulement de la créativité du travail, mais de la puissance de la solidarité collective (la force collective).


Cette captation d’un travail gratuit peut être comparée à l’exploitation du travail domestique des femmes. Ce travail prend la forme apparente du don, mais masque un rapport d’exploitation.


De fait, les théories de la critique du travail vantent l’activité gratuite et coopérative du logiciel libre qui échapperait aux logiques capitalistes de la propriété privée et du salariat. Certains y voient une puissance révolutionnaire capable de renverser le capitalisme. Mais leur concept trop étroit du travail les conduit, comme dans le cas de travail domestique, à ne pas posséder les outils théoriques leur permettant d’analyser les logiques d’exploitation qui échappent aux formes capitalistes classiques.


(1) Il s’agit de faire effectuer une tâche en s’appuyant sur le savoir-faire et l’intelligence collectifs.


Annexe:


Deux articles sur l’avenir du travail et la société du numérique:



  • Etude Roland Berger, Les classes moyennes face à la transformation digitale

http://www.rolandberger.fr/actualites/ACTUALITES/2014-10-27-la-transformation-digitale-classes-moyennes.html

(Complément: Robot TUG d’Athéon: remplace des tâches effectuées par des aides soignantes dans 140 hôpitaux aux Etats Unis).  

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