De l'insuffisante réflexivité de l'enseignement de philosophie

 

Toute pratique de l'enseignement de la philosophie est porteuse en elle-même d'une philosophie. Il ne s'agit pas pour l'enseignant de l'invisibiliser en se contentant de répéter que “la philosophie est à elle-même sa propre pédagogie”. Il s'agit au contraire de faire preuve d'une réflexivité philosophique sur sa pratique en explicitant les présupposés philosophiques des pratiques enseignantes.

 

La pratique pédagogique: la philosophie et la réflexivité sur les présupposés et les finalités de la pratique enseignante

 

Il est tout à fait surprenant que l'on ne demande pas au stagiaire ou à l'enseignant titulaire en philosophie lorsqu'on l'inspecte de rendre compte des présupposés philosophiques de ses pratiques, de rendre compte philosophiquement de ses méthodes d'enseignement.

 

L’activité enseignante est porteuse de présupposés et de finalités qu'il est alors nécessaire de dégager. Dans la pédagogie pragmatiste de John Dewey, il est évident que la pratique enseignante a une portée philosophique. Elle s'appuie sur les présupposés épistémologiques du pragmatisme philosophique (cf. l’ouvrage de Dewey, Comment nous pensons ?) et elle vise un effet démocratique (cf. Dewey, Démocratie et éducation).

 

Dans une approche pragmatiste, il est évident que toute pratique est porteuse en elle-même d’une philosophie qu’il appartient au logos philosophique d’expliciter. Enseigner la philosophie n’est alors pas seulement produire une philosophie à travers un discours : les pratiques d’enseignement de la philosophie doivent être en elles-mêmes porteuses d’une manière de vivre.

 

Pierre Hadot a insisté dans son oeuvre sur le fait que la philosophie était à l’origine une manière de vivre. Contre l’intellectualisme des cours de morale laïque, Sébastien Faure ou Célestin Freinet avaient mis en avant la force de l’exemplarité morale.

 

La pratique pédagogie doit être une philosophie en acte. Elle doit développer en elle-même sa propre épistémologie, sa politique, sa philosophie du travail et son éthique: a) son épistémologie parce que l’enseignant de philosophie doit avoir une conscience des théories de l’apprentissage sur lesquelles il entend appuyer sa pratique b) sa politique car la manière même dont il organise sa gestion de classe est une leçon de politique en acte c) sa philosophie du travail car la manière dont il effectue son travail est porteur d’une leçon de philosophie d) son éthique parce que son comportement est porteur d’une éthique.

 

En son sens le plus radical, un enseignement de philosophie ne peut se contenter d’être appréhendé comme un simple discours, mais doit être conçu comme une philosophie en acte à travers une conscience réflexive de ses pratiques pédagogiques.

 

Métacognition et systématicité dans l’enseignement de la philosophie

Il est possible en revanche de regretter une dimension autrefois plus largement présente dans la visée de l’enseignement de philosophie. Celui-ci devait être porteur d’une tentative de l’enseignant de produire un système permettant d’organiser de manière cohérente les savoirs.

 

Il est sans doute possible de critiquer les excès et les prétentions de l’esprit de système, surtout dans le cadre d’une production scientifique contemporaine caractérisée par son éclatement.

 

Néanmoins, il est possible de remarquer que même chez William James, qui affirme un pluralisme ontologique, l’hypothèse d’une unité de l’univers demeure un idéal régulateur et une exigence intellectuelle de l’activité philosophique.

 

Edgar Morin, dans son rapport “Les 7 savoirs nécessaires à l’éducation du futur”, du fait de sa conception holiste du monde, met en avant la nécessité d’essayer de donner aux élèves la capacité de mettre en lien les connaissances afin de parvenir à une pensée complexe .

 

Une telle conception est sans doute nécessaire, même dans une postmodernité caractérisée par l’éclatement. Elle n’est pas seulement caractéristique de l’holisme écologique, mais elle est également présente dans le connexionnisme des réseaux informatiques qui ne cessent de mettre en relation l’information.

 

Ce paradigme connexionniste à l’oeuvre dans les sciences de l’information et de la communication est également celui sur lequel s’appuie pour l’essentiel la psychologie cognitive qui, dans le cadre de ses théories de l’apprentissage, insiste sur l’organisation et la mise en relation de l’information.

 

Conclusion:

L’enseignement de la philosophie pourrait ainsi avoir un rôle à jouer dans l’élaboration d’un rapport au savoir plus ambitieux qui permet à l’individu de construire un sens existentiel à ses apprentissages à travers la création d’interprétations (Nietzsche) du monde ou de mondes possibles (Goodman, Manière de faire des mondes, Folio, 2006). La mise en relation même de ces sens possibles conduit à interroger alors les conditions de possibilité de la création d’un sens collectif.

Une pratique pédagogique de la philosophie qui se donnerait une telle ambition pourrait ainsi être conduite à interroger ses présupposés gnoséologiques et ontologiques plus consciemment qu’elle ne le fait bien souvent actuellement.

 

 

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