Grammaire des ambiguïtés pédagogiques

 

Les termes utilisés en pédagogie recouvrent souvent des ambiguïtés car ils peuvent être revendiqués par des courants pédagogiques aux soubassement idéologiques divergents en revoyant à des sens qui sont très différents sous une même étiquette

 

Il est possible de s’attacher à l’analyse de deux exemples pour illustrer cette difficulté: les méthodes actives et le développement de la personnalité de l’élève.

 

I- Mettre les élèves en activité

 

La mise en activité des élèves est une idée ancienne puisqu’on la trouve par exemple au XVIIe chez le pédagogue humaniste Coménius: il s’agit en particulier d’éviter le sentiment d’ennui chez les enfants. Néanmoins, ce qu’on appelle les méthodes actives renvoient à d’autres fondement théoriques plus récents.

 

-> La méthode scientifique expérimentale en pédagogie:

 

On trouve chez certains pédagogues comme par exemple Sebastien Faure la volonté d’introduire la méthode expérimentale issue des sciences de la nature contre la méthode dogmatique assimilée aux traces de l’enseignement religieux. La mise en activité consiste alors a faire adopter aux élèves une démarche inductive.

C’est également une préoccupation que l’on trouve chez John Dewey. L’enfant doit apprendre selon les méthodes qui sont celles de la recherche scientifique.

 

-> L’activité comme conséquence de la méthode naturelle:

 

L’adoption d’une méthode active consiste à remettre en cause la séparation de l’homme et de la nature. Elle s’inscrit dans une vision naturaliste de l’être humain. La méthode naturelle est déjà préconisée par Coménius pour l’apprentissage des langues.

On retrouve l’idée d’une méthode naturelle également chez Rousseau dans L’Emile: “Préparez de loin le règne de sa liberté et l’usage de ses forces, en laissant à son corps l’habitude naturelle, en le mettant en état d’être toujours maître de lui-même, et de faire en toute chose sa volonté, sitôt qu’il en aura une”.

 

Plusieurs pédagogues par la suite prônent le recours à des méthodes actives dans l’éducation en relation avec la vitalité naturelle et créatrice de l’individu humain. La méthode active est une conséquence de la spontanéité vitale de l’être humain: apprendre est une tendance naturelle du vivant.

 

. Spencer éducateur, disciple libéral de Darwin: Herbert Spencer, philosophe partisan du libéralisme économique, défend une éducation qui met en son centre l’activité. Il s’agit d’une conséquence de l’application d’un vitalisme darwien à l’éducation. L’être humain, comme les autres animaux, est porté à rechercher ce qui lui est utile, à savoir le plaisir et à fuire la souffrance. Il s’agit par conséquent d’adopter une pédagogie du jeu qui stimule l’activité de l’enfant.

 

. Freinet: le tatonnement expérimental comme méthode naturelle:

Freinet défend également le recours à des méthodes actives en éducation qui s’inscrivent dans la continuité d’une méthode naturelle. En effet, l’être humain se caractérise par le déploiement d’une activité vitale qui correspond à un besoin. Cette activité est le travail. L’apprentissage, comme activité vitale, se développe sous l’impulsion d’un tatonnement aveugle qui est l’effet d’un instinct. La méthode naturelle consiste à répondre aux besoins de l’enfant en lui donnant un travail qui y répond. A l’opposé de Spencer, Freinet ne fait pas du plaisir et du jeu la base de la pédagogie, mais le travail: c’est le travail qui est naturel à l’enfant et non le jeu.

 

N.B: Ces pédagogies qui entendent se situer en continuité avec une impulsion vitale s’opposent à une vision de la pédagogie comme dressage mécanique de l’enfant. On trouve ainsi présent chez un certains nombres de pédagogues qui s’inscrivent dans cette approche un recours à l’opposition philosophique entre mécanisme et vitalisme (c’est le cas par exemple d’Adolphe Ferrière). De fait, cette thématique peut conduire à une critique du mécanisme de la psychologie behavoriste.

 

-> Les psychologies constructivistes et socio-constructivistes

 

Cette thématique de la mise en activité des élèves comme condition de possibilité de l’apprentissage se trouve également développée dans les approches de la psychologie constructiviste (Wallon, Piaget, Vitgovsky...)

 

Les auteurs constructivistes font de l’action motrice un stade du développement cognitif de l’enfant qui précède le développement des processus cognitifs abstraits.

 

Les socio-constructivistes (Vitgovsky, Bruner…) font des activités socio-langagières une condition de possibilité de la construction des savoirs.

 

Les conflits socio-cognitifs entre pairs constituent peuvent constituer alors un outils privilégié pour construire les savoirs.

 

N.B: Il est possible de remarquer que le constructivisme en psychologie n’est pas le seul à s’être trouvé appliqué à l’éducation. Le constructivisme épistémologique a pu également être mobilisé. Dans un premier temps, sous la forme du constructivisme rationaliste de Bachelard avec la notion d’obstacle épistémologique en didactique des sciences. Mais également, dans un second temps, le constructivisme radical inspiré d’une épistémologie postmoderne relativiste.

 

II- Le développement de la personnalité de l’enfant

 

L’idée que l’éducation doit développer la personnalité de l’enfant est une idée ancienne. Elle est présente déjà chez les pédagogues humanistes. L’éducation que Rabelais présente à travers Gargantua est encyclopédique: elle se doit de développer chez l’élève l’ensemble de ses capacités qu’elles soient physiques et intellectuelles. Elle doit faire de lui un être complet. Mais il s’agit ici d’un idéal normatif.

 

-> L’éducation intégrale ou la constitution de travailleurs complets: Chez les penseurs de l’éducation de la tradition anarchiste - Proudhon, Robin ou encore Faure - la nécessité de développer des êtres complets se trouve posé en considération de futurs travailleurs. En effet, ce qui caractérise anthropologiquement l’être humain, c’est qu’il est un travailleur. Cette éducation ne s’adresse par en priorité à tous les êtres humains, elle est avant tout une éducation ouvrière. Elle pose la question du développement intellectuel de la classe ouvrière. Mais elle interroge plus largement la question de la division sociale du travail entre manuel et intellectuel.

 

N.B: Cette éducation ouvrière se présente comme une préparation à la vie. Il s’agit de former de futurs producteurs. Cette importance accordée à la nécessite de former de futurs travailleurs ne va pas sans soulever là encore des ambiguïtés. Car les syndicalistes et le patronat peuvent se retrouver à défendre au début du XXe siècle l’importance d’une formation professionnelle dont néanmoins le contenu n’est pas le même.

 

-> Développement personnel et épanouissement individuel: Néanmoins cette revendication de former des êtres complets, contre la division sociale du travail, va se trouver confondues avec d’autres préoccupations qui ne reposent pas sur les mêmes fondements.

Il existe des pédagogues, qui comme Ellen Key, mettent en avant au début du XXe siècle, une conception individualiste, inspirée de Nietzsche, selon laquelle l’éducation doit se donner pour objectif l’affirmation de l’individualité.

Il existe également une autre tradition d’inspiration chrétienne, que l’on peut qualifier de personnaliste, qui sacralise la personne de l’enfant qui doit être respectée et qui est également valorisée par son unicité. On peut rattacher à cette approche aussi bien Maria Montessori par exemple que Carl Rogers.

 

Il est possible de constater qu’il s’agit en réalité de deux projets relativement différents. Le premier, d’inspiration ouvrière, est centré sur un être social conçu comme producteur, le second connaît un succès plutôt dans les milieux bourgeois ou dans la classe moyenne qui mettent au centre de leur préoccupation le bien-être de l’enfant avant même son adaptation aux intérêts de la production économique. Il est possible ainsi de voir se développer un discours ambivalent au sein des classe aisées concernant l’éducation des enfants. Doit-elle viser avant tout l’adaptation au fonctionnement de l’économie de manière à maintenir son statue social (conception plus conforme au libéralisme économique) ou s’agit-il avant tout de valoriser l’épanouissement de l’individu (revendication d’une expressivité artiste de soi) ?

 

 

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