L'engagement militant : déterminants, freins, tremplins (I)

 

Texte intervention

Festival Libertés

Bruxelles, octobre 2013

 

 

Les chercheurs en sciences sociales qui s’intéressent à la question de l'engagement militant ont souvent été conduits à se poser la question suivante : pourquoi les dominés ne se révoltent pas ? Ou à l'inverse comment, malgré leur situation de domination, parviennent-ils tout de même à se révolter ?

Cette question est d'autant plus cruciale lorsque l'on pense que, par exemple, en France, durant la Seconde guerre mondiale, on estime que moins d'1 % de la population a été résistante.

Cependant, il faut mettre ce chiffre en relation avec deux autres faits. Le premier, c'est le fait que dans le village de Chambon-sous-lignon, ce fut l'intégralité du village, sous l'impulsion de son pasteur, André Trocmé, qui fut reconnu comme juste parmi les nations. Le second est ce que Philippe Breton appelle les « refusants ». Entre celui qui s'engage activement et celui qui collabore à une situation injuste, il y a des degrés. Il y a par exemple ceux qui refusent d'obéir.

Pourquoi certains se soumettent ? Pourquoi d'autres refusent ? Pourquoi d'autres s'engagent ? Mais encore, pourquoi, la plupart du temps, ceux qui s'engagent sont-ils si minoritaires ? Et pourquoi parfois, mais plus rarement, il peut s'agir d'un mouvement massif ?

Je vais revenir tout d'abord sur les principales pistes qu'on proposées la philosophie et les sciences sociales avant de terminer sur certains éléments qui me paraissent plus personnellement importants.

 

I- Les déterminants subjectifs

 

La psychologie, mais également tout une tradition philosophique, a accordé aux déterminants subjectifs une place prépondérante dans la démarche d'engagement.

 

A – Conscience morale et liberté du sujet

 

Aussi bien le stoïcisme d'Epictète par exemple, que la tradition chrétienne ou encore l'existentialisme sartrien, ont mis en avant l'importance des déterminants subjectifs dans l'engagement du sujet.

 

On pourrait en trouver une première occurrence par exemple chez Epictète, qui développe la thèse d'une toute puissance de la liberté intérieure du sujet. Il prend l'exemple d'une personne qui est torturée par un tyran. Il met en avant le fait que le sujet a toujours une liberté intérieure sur laquelle n'a pas prise le tyran.

 

Dans la tradition chrétienne, la conscience morale du bien et du mal d'une part et d'autre part le libre arbitre, comme toute puissance de la volonté, fondent la possibilité de l'engagement du sujet. Parce que j'ai une conscience morale, je peux juger de la justesse des lois sociales. Parce que j'ai un libre arbitre, je suis toujours responsable des mes actes.

Paradoxalement, on trouve chez le philosophe athée, Jean-Paul Sartre, une conception de l'engagement assez proche. Sartre met en avant la toute puissance de la liberté. La principale différence entre lui et la tradition chrétienne, c'est qu'il ne fonde pas la conscience morale sur des valeurs transcendantes établies par la morale religieuse et donc, en définitive, Dieu. La liberté du sujet sartrien doit le conduire même à la responsabilité de choisir les valeurs de son action.

 

Le refus d'une telle liberté, Sartre l'appelle la mauvaise foi. Il s'agit d'une attitude consciente d'un sujet qui n'assume pas sa liberté. C'est une forme de lâcheté qui conduit l'individu à se réfugier derrière des alibis liés à la situation dans laquelle il se trouve.

 

On peut néanmoins se demander si une telle vision n'est pas trop idéaliste. Est-ce qu'elle n'accorde pas trop à la toute puissance du sujet. On peut par exemple rappeler que dans la tradition médiévale, la torture était légitime parce que l'on estimait que le sujet de bonne foi aurait toujours la liberté de résister pour faire triompher la vérité.

 

B- Les déterminants subjectifs inconscients

 

Il est possible alors d'évoquer une seconde tradition d'analyse. Elle consiste à chercher dans le sujet les déterminants de l'action. Mais si ceux-ci sont individuels, il ne sont pas pour autant conscients.

 

Ce qui conduit le sujet à se soumettre ou à s'engager doit être recherché dans l'histoire du sujet, mais dans une histoire personnelle qui n'est pas nécessairement consciente. Il est possible par exemple ici de faire référence aux travaux d'Alice Miller qui, d'une certaine manière, se trouvent repris dans le film de Mikael Haneke, Le ruban blanc. Si des individus ont pu s'engager dans le nazisme, s'ils se sont soumis à une autorité injuste, c'est qu'il y a eu auparavant toute une histoire personnelle qui a construit un certain type de personnalité.

 

 

Mais l'exemple même du Ruban blanc, qui propose une hypothèse concernant un engagement massif, conduit à poser le lien entre la construction d'une personnalité individuelle et l'organisation sociale. Il ne serait pas possible alors pour comprendre ce problème de se situer seulement à un niveau individuel. Il faudrait tenir compte de l'organisation de la société dans son ensemble.

 

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