La raison publique chez Proudhon (3)

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B- Dualismes et discussion : l'équilibration des antinomies

 

 

Comme l'explique Proudhon dans Théorie de la propriété, c'est véritablement à partir de De la justice qu'il rompt avec l’objectif de Hegel de parvenir à une synthèse, c'est-à-dire à la réalisation de l'absolu sur terre. En effet, la capacité à pouvoir déterminer la réalisation d'une telle fin repose sur la possibilité de pouvoir dégager une loi immanente au réel qui permet d'en prédire le devenir. Or une telle possibilité suppose en définitive de posséder déjà dans un certaine mesure une connaissance absolue qui est celle de la logique dialectique.

 

 

La raison publique se distingue donc de l'absolutisme de la raison dialectique et de sa prétention à embrasser la totalité, mais également de l'absolutisme de la raison monologique. L'absolu monologique de chaque conscience ne saurait constituer pour Proudhon un fondement, à la différence de Descartes (le moi étant la résultante d’une pluralité), mais c'est dans leur confrontation, leur lutte, qu'il devient possible d'établir un équilibre des raisons: « Devant l'homme son semblable, absolu comme lui, l'absolutisme de l'homme s'arrête court; pour mieux dire, ces deux absolus s'entre-détruisent, ne laissant subsister de leurs raisons respectives que le rapport des choses à propos desquelles ils luttent »[19].

 

 

Tout comme le fédéralisme est pour Proudhon la réalisation de l'équilibre entre l'unité de la solidarité et la pluralité de l'autonomie, la raison publique réalise l'équilibre entre l'affirmation de la pluralité des opinions individuelles et l'unité de la décision collective[20]. C'est pourquoi la raison publique est également appelée par Proudhon « raison collective » dans la mesure où l'affirmation individuelle ne s'oppose pas au caractère collectif de la décision, mais en constitue la condition de possibilité

 

“Hommes, citoyens, travailleurs, nous dit cette Raison collective, vraiment pratique et juridique, restez chacun ce que vous êtes; conservez, développez votre personnalité; défendez vos intérêts ; produisez votre pensée ; cultivez cette raison particulière dont la tyrannique exorbitante vous fait aujourd'hui tant de mal ; discutez-vous les uns les autres, sauf les égards que des êtres intelligents et absolus se doivent toujours ; redressez-vous, reprochez-vous : respectez seulement les arrêts de votre raison commune, dont les jugements ne peuvent pas être les vôtres, affranchie qu'elle est de cet absolu, sans lequel vous ne seriez que des ombres. Je crois inutile d'insister sur cette distinction fondamentale de la raison individuelle et de la raison collective, la première essentiellement absolutiste, la seconde antipathique à tout absolu.”[21]

 

 

 

La raison publique ou collective de Proudhon constitue donc une balance entre des opinions subjectives qui se présentent comme absolues. Elle n'opère pas tant une synthèse de ces opinions qu'une équilibration qui constitue un renouvellement par Proudhon de la théorie de la « balance des pouvoirs ».

 

 

 

Il est ainsi possible de dégager trois traits principaux de la raison publique comme raison pragmatique: a) la raison publique est une conséquence de l'anti-fondationnalisme et s'oppose à toute tentative de fondation, que celle-ci repose sur une cause première transcendante ou immanente. b) Si l'anti-fondationnalisme suppose néanmoins de donner à la science l'horizon de l'absolu, entendu comme adéquation parfaite du discours et de la réalité, la raison publique ne prétend pas atteindre une fin absolue, mais constituer un mode d'établissement d'un équilibre, relativement à une situation historique, des antinomies sociales c) cette recherche d'équilibration des antinomies sociales s'effectue par l'établissement d'une décision collective qui doit être le produit de la balance des opinions individuelles les plus diverses.

 

 

 

Nous avons vu que cette critique du fondationnalisme philosophique chez Proudhon avait pour versant politique la critique de l'absolutisme. Nous allons tenter dans une seconde partie de dégager les conséquences politiques de la conception proudhonnienne de la raison publique.

 

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