L’apprentissage du philosopher et la culture philosophique

 

L’enseignement de la philosophie, du moins en France, suivant en cela la position de Kant dans son Avertissement1, ne consiste pas dans l’apprentissage de doctrines constituées, mais dans l’acte de philosopher.

 

Pourtant, et c’est bien cela le paradoxe, la méthode pédagogique de la leçon de philosophie peut être vécue par l’élève comme l’apprentissage d’un ensemble de doctrines. Certes le professeur effectue de son côté une dissertation et non une doxographie. En cela, il pose un problème et y répond en examinant et réfutant différentes solutions possibles, jusqu’à parvenir à celle qu’il défend comme la plus convaincante.

Néanmoins, pour l’élève chaque moment du développement est celui d’un apprentissage d’une doctrine dont il s’efforce cependant de comprendre la logique intérieure en suivant l’exposition et le raisonnement de l’enseignant.

 

On peut certes objecter qu’il n’est pas possible à l’élève de philosopher uniquement à partir de simples opérations formelles de raisonnement sans posséder des contenus philosophiques qui constituent la matière sur laquelle s’effectueront les opérations de raisonnement.

Pourtant, force est de constater que les travaux des élèves semblent bien souvent osciller entre deux défauts. Pour les plus faibles, c’est le manque, ou l’absence de références philosophiques: le cours pris en note n’est pas appris ou peu utilisé. On trouve parfois le défaut inverse qui est l’exposé de connaissances: l’élève récite des connaissances à propos du sujet, mais la logique interne des positions philosophiques et leurs rapports les unes avec les autres ne sont pas saisis.

 

Une démarche d’apprentissage constructiviste de la philosophie permettrait peut-être de palier ces défauts. Cette démarche consisterait à faire reconstruire par les élèves les positions philosophiques. Cette reconstruction peut s’effectuer en partant d’hypothèses de base.

Il s’agit tout d’abord de montrer, en partant du sens commun immédiat, comment émerge la première hypothèse, puis l’autre ou les deux ou trois autres hypothèses. Il s’agit ensuite de reconstituer la logique argumentative interne de chaque hypothèse dans son rapport avec les autres hypothèses.

 

Exemple:

 

A- Etape 1: Axiomatisation

 

Les hypothèses de base qui servent ensuite à déduire les positions émergent à partir du problème suivant: comment l’être humain a-t-il une connaissance de la réalité ? A partir du champ gnoséologique qui permet d’effectuer des hypothèses anthroplogiques, il est possible de dériver les positions en épistémologie, politique ou ethique.

 

1) Hypothèse 1: Les sens + le vivant

Il peut paraître évident de partir de la sensibilité. En effet, il semble à première vue que j’acquière mes connaissances par les sens.

La sensibilité est commune à l’être humain et aux animaux. L’être humain est donc un être vivant, un animal.

Limites:

La sensibilité ne permet pas de fonder une connaissance objective. En effet, les sensations sont subjectives, c’est-à-dire relatives à chaque sujet qui les éprouve.

Si on réduit l’être humain à la sensibilité, on ne comprend pas ce qui le différencie des autres animaux.

 

2- Hypothèse 2: La raison + la matière

Il est possible de supposer que l’être humain acquiert des connaissances également par le raisonnement. Plutôt que de fonder la connaissance sur la sensibilité, on peut alors tenter de la fonder sur le raisonnement.

Les sciences de la nature s’appuient sur le raisonnement et nous conduisent à avoir une connaissance de la nature qui diffère de notre connaissance sensible. La nature est composée de matière. Mais la matière telle que la conceptualise la physique n’est pas la matière telle que je la perçois avec mes sens.

 

Limites:

Néanmoins, le raisonnement s’appuie sur des prémisses. Or ces prémisses ne peuvent pas être fondées sur un raisonnement sans régression à l’infini.

 

3- Hypothèse 3: Intuition intellectuelle + esprit

Pour fonder le raisonnement, il est possible de supposer que l’être humain soit capable de intuitions intellectuelles qui lui permettent de saisir de manière immédiate des vérités premières qui permettent ensuite de déduire par raisonnement d’autres vérités.

Ces vérités qui sont saisies de manière intellectuelle sont de l’ordre de la pensée et non de la matière. Il existe donc, en dehors de la matière, une autre réalité, l’esprit.

 

Limites:

Néanmoins, il est possible que ces premiers principes qui paraissent évidents ne soient que des opinions relatives issues de l’habitude.

 

4- Hypothèse 4: Action + vivant

Nos connaissances seraient tirées de l’expérimentation empirique, de notre pratique.

L’être humain est un être vivant dont l’action tend, comme celle de tous les êtres vivants, à assurer sa propre survie. Néanmoins, l’être humain n’est pas mu par un instinct immuable, mais il possède une intelligence qui lui permet de raisonner et de tirer de ses expériences pratiques singulières des règles générales.

 

NB: Dans le cas présent, l’ordre de présentation des hypothèses adopte une orientation philosophique pragmatiste.

 

B- Etape 2: Déductions et objections:

 

Il est ensuite possible de prendre les principaux champs philosophiques:

- Théorie de la connaissance

- Anthropologie

- Politique

- Morale

etc.

 

et de reconstruire la position et l’argumentation de chacune des hypothèses philosophiques dans chaque champ, ainsi que les objections que chacune de ces positions peut opposer aux autres. L’ordre et l’orientation de l’argumentation des hypothèses et des objections suit celle de la présentation effectuée dans l’étape d’axiomatisation.

 

L’objectif de cette manière de procéder consiste à éviter que les élèves apprennent la philosophie comme un ensemble de doxa. Ce qui compte ici, c’est comme en mathématique, qu’ils comprennent la logique interne de chaque position et de chaque position relativement aux autres.

 

 

 

1 Avertissement d’Emmanuel Kant sur l’ensemble de ses leçons pendant le semestre d’hiver 1765-1766. 

 

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