Vers l’émergence d’un Etat-monde

Entretien avec Jacques Bidet, philosophe

 

Jacques Bidet est professeur émérite de philosophie, directeur honoraire de la revue Actuel Marx et auteur de nombreux travaux sur l’œuvre de Marx et la refondation du marxisme. Dans son dernier ouvrage, il émet l’hypothèse que le mouvement historique actuel se caractériserait par l’émergence d’un Etat-monde. (L’Etat-monde, PUF, 2011)

 

IRESMO : Comment la théorie métastructurelle que vous proposez permet-elle d’articuler l’analyse des dimensions politiques et économiques dans une conceptualisation cohérente ?

 

Jacques Bidet : La théorie métastructurelle est une théorie de la société moderne, qui élargit l’approche héritée de Marx en s’appuyant sur les sciences sociales. Elle définit la forme de domination propre à la modernité, selon une formule de l’École de Francfort, en termes d' « instrumentalisation de la raison ».

Elle part donc de cette « raison », plus précisément de la considération des deux modes de « coordinationrationnelleà l'échelle sociale » : le marché et l’organisation. Cette approche est centrale dans diverses problématiques économiques ou sociologiques. Marx en avait fait déjà le pivot de son analyse historique, définissant deux modes de « divisiondu travail » (où division = coordination)  dans la société moderne : le marchécoordonne par rééquilibrage a posterioriles actions d’agents indépendants, l'organisationpar ordonnancement a priorides moyens et des fins (comme au sein de la « fabrique », mais aussi de toute administration, et finalement de l'État lui-même, qui n'a pas la forme marché). Marx se représentait que l'histoire moderne conduit d'une rationalité marchande (capitaliste) à une rationalité organisationnelle (socialiste), soit à une planification supposée concertée. Le marché définissait pour lui le passé et l’organisation l’avenir. C’est là, à mes yeux, son erreur. En réalité, ces deux modes primaires de « coordination » sont rationnellement impliqués l’un en l’autre, concrètement enchevêtrés. Toutes les combinaisons ne se valent pas : elles ont des effets de classe différents. Voilà pour la dimension économique.

L'articulation de cette « face » économique à la « face » politique de la structure sociale moderne se comprend à deux niveaux.

D'une part en termes de structure sociale. À ces deux formessociales, marché et organisation, correspondent en effet deux forcessociales, respectivement détentrices des privilèges, reproductibles, de « capital » et de « compétence » (celle-ci, allant du savoir technique des moyens au savoir culturel des fins, avec tout « l'arbitraire » que tout cela comporte). À titre indicatif : Marx pour le premier, Bourdieu et Foucault pour le second. Ces deux forces sociales – les capitalistes et les dirigeants-et-compétents – se situent ainsi aux deux « pôles » de la classe dominante. Quant à l'autre classe, la « classe fondamentale ou populaire », elle se trouve exploitée et dominée à travers des processus divers de « marché » et d’« organisation », qui diffèrent selon que l’on est fonctionnaire, salarié du privé ou indépendant. Mais elle est tout autant à comprendre comme une puissance sociale active et créatrice, précisément aussi à travers ces deux formes rationnelles (marché et organisation), qui sont les « biens communs de l'humanité », qu'elle cherche constamment à se réapproprier.

D'autre part, en termes de « métastructure », c'est-à-dire de présupposé de cette structure, posé par cette structure. Car cette bipolarité de la face économiquede l'entre-chacun du marché et de l'entre-tous de l'organisation a pour contrepartie une semblable bipolarité de la face juridico-politique. Le débat de la philosophie politique depuis plusieurs siècles se concentre significativement autour de la question de savoir si la priorité doit être donnée – pour reprendre la formulation libéraleprovocatrice de Benjamin Constant – à la « liberté des Anciens », celle du socialisme, ou à la « liberté des Modernes », celle du libéralisme, à ses yeux du moins. Plus précisément, il tourne autour de la question de savoir comment relier ces deux modes de la relation interindividuelle : l’entre-chacun du « privé » dans la société civile et l’entre-chacun du « public » dans l'État.

Si je me réfère ici Marx, c'est parce qu'il est l'inventeur de cette conceptualité que j’appelle « métastructurelle ». La première section du Livre 1 du Capital est consacrée à définir une logique pure(abstraite) de la production marchande. Marx décrit ce rapport économique comme ayant un contenu immédiatement juridico-politique : dans le rapport marchand, considéré à ce niveau d'abstraction, les partenaires se posent comme libres, égaux et rationnels. Il en vient ensuite, aux sections suivantes, à décrire le capitalisme proprement dit – qui inclut la « force de travail » à titre de marchandise – comme le renversement, l’instrumentalisationde cet ordre marchand. La « théorie métastructurelle » que je propose se borne à élargir ce concept. Elle part de l'idée que la métastructure moderne – le présupposé officiel du lien social moderne – n'est pas seulement cette position d’un marché supposé libre, mais tout autant une position d'organisation concertée. Plus précisément, la métastructure posela co-imbrication « rationnelle » du marché et du plan, et la co-implication « raisonnable » de la contractualité inter-individuelle et de la contractualité centrale. La métastructure est l’articulation de ce discours officiel de libertégalité-rationalité et de ces deux « médiations » (marché et organisation) qui sont censées le prolonger. C’est tout cela ensemble qui se trouve retourné, instrumentalisé dans la société moderne de classe. Expliquer et justifier cet ensemble de concepts et de thèses dépassent évidemment le cadre d'une interview.

 

 

IRESMO : Quelle place occupe la notion d’Etat dans la refondation du marxisme que vous entreprenez ?

 

J.B : L’État, si l'on entend par là l'instance dans laquelle se concentre au sein d'une société particulière un pouvoir politique supérieur à tout autre, a bien sûr existé avant l'époque moderne. Mieux vaut cependant, comme le font généralement les historiens, réserver ce terme d’État à l'époque moderne. Mais cela engage, naturellement, une définition de la « modernité ». À mes yeux, celle-ci n'a rien de spécifiquement occidental. Elle apparaît lorsque naît, précisément, l'État au sens moderne, c'est-à-dire une instance politique qui se donne pour tâche l'articulation ces deux grandes formesde « coordination à l'échelle sociale » que sont le marché et l'organisation, et donc aussi des deux grandes forcessociales qui leur correspondent. C'est ainsi qu'en Chine, autour du premier millénaire, le pouvoir central se donne pour tâche de coordonner le monde des marchands et celui de l'administration mandarinale. L'historiographie chinoise identifie cette époque comme celle du commencement de l'histoire moderne.

La modernité européenne apparaît, en ce sens, comme l'avaient entrevu Marx et Weber, et comme le soulignent aujourd'hui de nombreux historiens, dans la commune médiévale, et plus spécifiquement dans la commune italienne. Elle prend une forme particulière, que je désigne comme modernité « socio-politique ». Car c'est ici que naissent les institutions républicaines modernes, celles du législatif(censé procéder du débat et du vote de citoyens égaux, et dont les prérogatives s'étendent au domaine économique, fait sans précédent), de l'exécutif(censé, en la personne du « podestat », être distinct du législatif et soumis à lui) et du judiciaire (justice dite « d'inquisition », impliquant une capacité d'initiative publique) – tout cela sous forme d'esquisses fragiles, ponctuelles et éphémères dans un monde encore essentiellement féodal, mais qui, au-delà de leurs défaites, poursuivront souterrainement leur chemin. C’est ce processus, par lequel la société tout entière prétendcontrôler l'instance étatique, qui peut être désigné comme celui de la modernité « socio-politique ». Il a caractérisé l'Europe pendant plusieurs siècles, avant de devenir un standard universellement revendiqué.

Ce qu'il en est, en réalité, de cette « prétention », de cet ordre « déclaré » est évidemment tout autre chose. L'État moderne se déclare, certes, et se comprend comme cette capacité d'articuler des processus marchands et organisationnels, sous l'égide d'une organisation suprême qui tient sa légitimité de n'être, censément, en dernière instance, qu'une organisation de la parole(une voix égale une voix), détentrice à ce titre du monopole de la violence légitime. Mais c’est dans ces conditions qu’il se définit comme un État de classe. Dans la société moderne, comme je pense l’avoir montré, la classe dominante se constitue en effet par la conjonction de ces deux sortes de privilège, par la relation entre ces deux « pôles » de domination : celui de la propriété, qui gouverne le marché, et celui de la « compétence » (à comprendre dans un sens webero-bourdieusien), qui gouverne l'organisation. Soit aujourd’hui d’un côté « la Finance », et de l’autre « l’Élite ».

L'État est le lieu suprême des transactions entre ces deux pôles, entre ces deux forces sociales, à la fois conniventes et antagonistes, de la classe dominante. Cela ne signifie pas qu’il soit un « appareil » entre les mains de celle-ci. Il est le lieu d'un affrontement, où intervient tout autant l'autre classe, la « classe fondamentale ou populaire », dont la rationalité stratégique consiste d’une part à faire l'unité entre ses diverses fractions (salariés du privé et du public, indépendants – et chômeurs en l’attente de l’une de ces « places »), et d’autre part à s'allier aux forces de la compétencecontre celles de la propriété, pour briser en vue de briser l'unité de la classe dominante. Et la chose n’est pas facile : l’alliance est un combat.

L'État, donc, n'est pas un « appareil ». Il est le lieu d'un rapport de force entre les classes au sein de l'État-nation. Il est l'instance suprême de la structure de classe. Mais son pouvoir se concrétise à travers des « appareils d'État », dont certains sont « publics », et d'autres « privés ». Le clivage entre « État / société civile », qui domine le discours courant et savant, présente à cet égard quelque chose de trompeur. Il constitue, bien sûr une référence légitime dans son ordre, car la distinction privé / public est essentielle, y compris pour comprendre comment ils se mélangent de façon perverse dans la « gouvernance ». Mais se fixer sur ce couple, génère la conception triviale d'un État défini par les seules institutions publiques. Que cette conception soit devenue le sens commun manifeste la puissance idéologique du libéralisme. C'est contre elle que s'établit la position marxiste : l'État est la clé de voûte du rapport de classe. Il se réalise tout autant dans des institutions privées. Et rien n'est plus « civil » que les institutions publiques.

 

 

IRESMO : Pourquoi selon vous assistons-nous à la constitution d’un Etat-monde ? En quoi cela consiste-t-il ?

 

J.B : Pour répondre à cette question, il suffit de considérer la tendance générale de l'histoire moderne.

La société moderne s’est développée selon deux dimensions : tout à la fois sous la forme d'une structure de classeparticulière, celle que je viens de décrire, au sein de chaque État-nation, et sous la forme d'un système-monde, qui définit la relation entre ces divers États et autres territoires. Le couple structure/système constitue donc nécessairement le pivot de l'analyse. La structuration de classe au sein de l'État-nation représente la dimension « civilisée », celle de la luttede classe. Le système monde, représente la dimension barbare, celle de la guerre, de l'impérialisme colonial. Ces deux dimensions ne sont pas extérieures l'une à l'autre. L’analyse « post-coloniale » nous le rappelle. Mais il faut les distinguer si l'on veut comprendre leurs interrelations perverses.

Le Système-monde moderne s’est développé à partir d'une centralité européenne, qui s'esquisse à partir de l'Italie du XIIIe siècle. J'argumente sur ce point contre les diverses thèses qui font commencer le capitalisme au XVIIIesiècle, au XVIIe(Brenner), à la Renaissance (Wallerstein), au XIVe(Arrighi). Car ce dont il faut, à mes yeux, chercher le commencement, ce n'est pas « le capitalisme », qui a existé depuis longtemps. Ni la « société capitaliste » : ce terme ne convient pas, ou du moins, il comporte un biais trompeur, parce que la classe dominante moderne a toujours articulé les deux pôles de la « propriété » capitaliste et de la « compétence » élitaire. Le commencement pertinent est celui de la « forme moderne de société », tout à la fois dans cette bipolarité marché /organisation et dans sa bi-dimensionnalité structure / système. Cette modernité occidentale – qui donne lieu à l'émergence du Système-monde moderne, dans des conditions conjoncturelles qui n’ont rien avoir avec un « esprit » occidental – commence à petite échelle dans les États-cités italiennes et autres, au sein d’un monde féodal, esquissant déjà une forme « systémique » moderne (croisades, colonisation « moderne » de la Sicile, etc.). À mesure que se développent les forces productives (quand par exemple on passe de l’industrie du papier à celle de l'imprimerie), les États-cités laissent place à des entités plus vastes, progressivement aux nations « classiques ». Et l'on parvient aujourd'hui à l'échelle du continent. Il s'agit d'une tendance structurelle-systémique.

Un seuil critique se trouve franchi au tournant des années 80 du siècle dernier. Les développements techniques, notamment ceux de l'informatique, permettent aux grandes corporations multinationales capitalistes de se déployer à l'échelle mondiale, distribuant ici leur production, là leurs centres d'études, ailleurs leur fiscalité. Cela dans un contexte encore largement colonial, en termes de dépendance et d'exploitation du travail à bon marché. Les forces politiques du capitalisme dans les grands centres, dont Reagan et Thatcher sont le symbole, se sont alors, comme l'on sait, trouvées en mesure de prendre l'initiative, et d’imposer un régime de dérégulation et de financiarisation de l'économie.

Mais cela ne fait pas que le monde serait devenu « un marché ». Nous assistons simplement à la phase terminale d'un processus territorial. Dans le sillage des États-nations modernes, émerge un État-monde. Cela signifie que l'on y retrouve une structure de classe analogue et de semblables appareils d'État. Ceux-ci ne se résument pas au complexe des « organisations » internationales, qui se déclinent à partir de l'ONU, en FMI, Banque Mondiale, OMC, etc. Car il faut semblablement prendre en compte les appareils d'État mondiaux privés. Notamment l’ensemble des institutions privées – sises dans des « villes globales », interreliées) – qui produisent le droit dans chaque branche (institutions de la lex informatica, de la lex constructionis, etc.)et le gèrent à l’échelle mondiale : cours d’arbitrage, bourses, agences de notations, etc.

Cet État-monde ne se substitue pas au Système-monde. Ces deux configurations à l'échelle du monde se trouvent imbriquées l'une dans l'autre. La domination des Centres impérialistes trouve appui dans les institutions de nature mondiale-étatique, qu'elles soient financières (FMI…) ou militaires, d'autant que celles-ci fonctionnent par délégation de « mission » à des forces relevant d'États particuliers (voir récemment la Libye). Police mondiale.

Mais cet État-monde ne se constitue pas sans que ne commence à s’esquisser un « peuple monde ». Soit une population de plus en plus soumise au même droit commercial (tout s’achète de par le monde, à des prix qui varient selon le rapport de force) et à une sorte de super-constitution néolibérale, commune à tous. En même temps, l'humanité, dans sa masse, acquiert certains traits d'une unique nation. En termes économiques, chacun vit, travaille et consomme dans un monde matériellement intégré de produits et d'informations qui font de lui un être physiquement et culturellement quelque peu « mondial ». En termes politiques, une langue commune (et l'on sait que l'émergence de ces langues communes a été constitutive de l'émergence des États-nations) est d'ores et déjà apparue : elle consiste, telle est du moins mon analyse, dans la traductibilité immédiate de toutes les langues, qui fait que la population mondiale peut inter-communiquer immédiatement, à travers le processus de la télévision et d'Internet. On l’a vu dans le « printemps arabe » : les citoyens insurgés ont pu interpeller leurs concitoyens du monde, au nom d'une possible « volonté générale » sur un ordre supposé démocratique.

 

 

IRESMO : Comment se situe votre analyse théorique du racisme par rapport à celle en termes de centre/périphérie des théoriciens du système-monde et à celle de l’articulation entre sexe/race/classe des théories de l’intersectionnalité ?

 

J.B : L'articulation entre sexe/race/classe est devenue, et à juste titre, une sorte de programme officiel de la pensée critique, qui n'est pas facile à mener de front. Ceux et celles qui s'en réclament laissent souvent à la marge l'un de ces trois termes. J’ai consacré un chapitre de L’État-monde à tenter d’éclairer un peu cette question.

La relation entre classe et « race » repose sur le concept de système­­-monde. Les qualificatifs de « race » (autrefois de « religion », aujourd'hui de « culture ») ponctuent idéologiquement le rapport colonial du système-monde. Mais le Système-monde moderne est celui d'une société de classe définie, d'une domination de classe qui s'élève à un degré supérieur, quand elle traverse les frontières, associée à la domination d'une communauté – territorialement constituée en État-nation sous l'égide de sa classe dominante – sur une autre. La structure et le système, ne sont pas externes l'un à l'autre : la situation concrète est, pour une part, celle de classes racisées, et de peuples-classes. La théorie métastructurelle est celle qui convient pour articuler classe et « race », parce qu’elle est fondée sur le couple conceptuel « structure / système ».

La relation classe / sexe est, dans son principe du moins, plus extrinsèque, dans la mesure où la catégorie de classe se comprend dans le cadre de la « structure », au sein d'un « mode de production », alors que celle de sexe s'analyse, pour une part du moins, dans le cadre de la « famille », au sein d'un « mode de reproduction ». En toute première analyse, du moins, car le sujet est infiniment complexe. J'ai choisi de parler de « consubstantialité », reprenant un terme de Danièle Kergoat, de préférence à celui d'intersectionnalité, pour manifester la part d'immanenceentre rapport de classe et rapport de sexe. Au sens notamment où il y a, dans les conditions de la société moderne, « du rapport de classe » dans le rapport de sexe. Il y a une exploitation et une domination, mais aussi une résistance de sexe, qui se nourrissent d’une exploitation et d’une domination, mais aussi d’une résistance, de classe. Le capitalisme constitue ainsi en lui-même une domination des hommes sur les femmes. Si l’on me permet de me citer : « C’est dans le mécanisme de classe que s’affirme et se reproduit la prévalence masculine : rapport d’exploitation économique, de minoration juridique, d’oppression politique, de dévaluation culturelle et d’emprise sexuelle. (…) Lorsque croissent la hiérarchisation organisationnelle et l’inégalité marchande, les femmes pâtissent davantage des hommes.Quand au contraire la lutte de classe fait triompher un peu d’égalité entre tous, les rapports entre les femmes et les hommes se civilisent quelque peu aussi. » Et les luttes de femmes ont semblablement des effets d’émancipation de classe.

 

IRESMO : Comment peut être analysée la crise écologique dans le cadre théorique que vous proposez ?

 

J.B : Dans ce travail, je ne parviens qu'au seuil de la question écologique. Je tente de déterminer les lignes de force qui sont à considérer dans une écologie politique. Je compte, dans un travail ultérieur, prendre de front l'écologie.

Mon analyse permet cependant de justifier certaines orientations.

Marx est bien le pionnier de l'écologie politique. Il montre de façon analytiquement irréprochable que la logique du capitalisme n'est pas celle d'une « société de marché », où l'on s'affronterait pour produire des marchandises, des valeurs d'usage marchandes. Elle est celle d'une richesse abstraite, la plus-value, qui est une accumulation de pouvoirssur les hommes et sur la nature. La concurrence capitaliste engendre une contrainte qui s'impose à chacun : accumuler plus de profit que le concurrent, quelles qu'en soient les conséquences sur les hommes et sur la nature. Marx est, par excellence, le critique du productivisme.

Ce qu’il a moins bien compris, c'est l'autre volet, non marchand, de la logique abstraite, qui se développe à l’instar de la concurrencesur le marché dans la compétitionde pouvoir au sein des hiérarchies organisationnelles. Exemple : les désastres de l'écologie soviétique.

Il me semble que c'est dans les termes « structurels /systémiques » que l'on doit conduire l'analyse de ces désastres écologiquement encore plus monstrueux qui sont depuis des décennies ceux des « grandes corporations » dans ce qui est toujours, à cet égard, le Tiers-monde. C'est bien sur ce terrain que se situe aujourd'hui l'analyse écologique socialement critique. C'est pourquoi ces concepts de structure (de classe) et le système (-monde) sont si décisifs, et méritent toute notre attention.

J'ajouterai encore que le concept d'État-monde invite à ne pas laisser, non plus, la critique s'enfermer dans les catégories du Système-monde. D'une part, parce que les grands processus économiques et politiques commencent à avoir une dimension mondiale-étatique« post-systémique »). C'est une législation mondialequi met la nature en vente. D'autre part, parce que, en conséquence, c'est dans ce fait politique de l'État-monde que se manifeste une responsabilité commune qui n'est pas seulement morale, mais politique. Mais cet État-monde n’est réductible à pas un ensemble d’institutions, « appareils d’État » : comme dans l’État-nation, il y a la nation, dans État-monde, il y a « le monde », l’humanité. Dite « monde », parce qu’elle est prise dans ce « métabolisme » dont parlait Marx, par quoi elle ne fait qu’un avec les autres espèces et tout ce qui les nourrit.

 

 

Références: 

 

Jacques Bidet, L'Etat-monde, Paris, PUF, 2011, 320 p., 27 euros

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