Le travail atypique urbain face aux défis de la participation syndicale : quelle approche au Burkina Faso ?

Ali SANGARE, chargé de recherche Institut des Sciences des Sociétés (INSS) Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNSRT) Ouagadougou, Burkina Faso


Résumé

Le « travail atypique » est un domaine essentiellement axé sur les activités informelles urbaines. Il occupe un grand nombre de personnes au Burkina Faso. Le développement de ce travail au Burkina Faso est dû aux récessions économiques qui ont conduit à la fermeture des entreprises et à la crise de l’emploi. Cette situation a ainsi amené un nombre important de personnes à s’adonner (ou à se convertir) à ces types de travail.

C’est pourquoi les syndicats burkinabè s’intéressent de plus en plus à ce secteur, en ayant pour ambition d’organiser le monde du travail et de mobiliser le plus grand nombre de travailleurs.

La présente étude entreprise dans le cadre du PADEP-Burkina Faso, vise à appréhender les imbrications entre « travail atypique » et syndicat dans les centres urbains du Burkina Faso. Des investigations menées auprès des organisations syndicales ont permis de comprendre, qu’au regard de l’importance numérique des « travailleurs atypiques », la collaboration entre ces derniers et les syndicats est essentielle ; et cela non seulement en vue de la défense des intérêts de ces travailleurs, mais aussi pour le renforcement du mouvement syndical.

 

Introduction

 

Au Burkina Faso, l’emploi formel est le fait d’entreprises industrielles, commerciales, bancaires et surtout de l’administration publique. En termes de quantité, il reste marginal par rapport à l’emploi informel qui est prédominant dans l’économie urbaine burkinabè.

Dès le début des années 1980, la crise économique et les Programmes d’ajustement structurel ont fini par alimenter le chômage, développer le sous-emploi et les activités informelles qui rentrent dans le cadre du travail atypique.

Le travail atypique est un phénomène qui prend de plus en plus de l’ampleur au Burkina Faso du fait de cette situation économique dégradante. Il concerne par exemple le travail temporaire, le travail en sous-traitance dans de petites entreprises ou des ateliers et le travail à domicile. Cette nouvelle forme d’emploi atypique se développe notamment dans les villes, obligeant beaucoup de personnes, particulièrement des jeunes, à accepter des conditions de travail souvent illégales. Les activités relevant de ce secteur atypique présentent un risque dans la mesure où elles sont précaires et ne sont pas couvertes par la loi et les systèmes de sécurité sociale.

Bien souvent, ces travailleurs ne sont pas organisés et n’ont aucune relation avec le syndicalisme. Ils manquent de mécanismes d'organisation et de représentation pour défendre leurs droits. Or, l’un des moyens les plus efficaces de défendre les droits de ces travailleurs et de les aider à accéder aux moyens de production, à la formation et aux services sociaux, est certainement de favoriser leur organisation.

Conscientes de cette situation, les organisations syndicales du Burkina Faso, à travers le Programme africain pour le développement de la participation des travailleurs (PADEP), ont proposé que soit menée une réflexion sur ce sujet afin de mieux organiser ce secteur et de voir aussi dans quelles mesures il pourrait apporter sa contribution au syndicalisme burkinabè. Le PADEP-Burkina qui a pris fin en 2008 était un programme commun de coopération entre la FNV[1], l’IES[2] et les organisations syndicales de quinze pays africains dont le Burkina Faso, en vue de promouvoir la participation démocratique dans les syndicats. La méthode définie pour atteindre cet objectif était une stratégie combinée de plusieurs activités telles que la formation, l’enseignement et la recherche. C’est dans le cadre du volet « recherche » que nous avons été sollicités pour réaliser ce présent texte[3] qui constitue une étude exploratoire sur la participation syndicale des travailleurs du secteur atypique.

Cette étude, qui vise à appréhender les imbrications entre « travail atypique » et syndicats au Burkina Faso, a été menée en 2008 à partir d’une enquête basée essentiellement sur des entretiens individuels semi-directifs. Mais certaines données ont dû être revues et collectées en octobre 2010 pour les rendre plus actuelles et pour réaliser cet article. Les entretiens ont été effectués principalement à Ouagadougou auprès des leaders et responsables syndicaux (les secrétaires généraux des 7 centrales syndicales et quelques responsables des syndicats autonomes) et une cinquantaine de militants de base, notamment les « travailleurs atypiques » des différentes centrales syndicales et des syndicats autonomes. L’enquête a été réalisée dans les grands centres urbains où l’on pouvait rencontrer des travailleurs et des militants des secteurs non structurés, en l’occurrence du secteur atypique. Dans le cadre des recherches documentaires, il n’a pas été possible d’avoir des données sur le travail atypique au Burkina Faso du fait de l’inexistence d’étude scientifique dans ce domaine. La plupart des données qui existent portent sur le secteur informel, mais nous ont permis d’avoir une idée des difficultés rencontrées par les travailleurs des secteurs non structurés.

L’étude tente d’abord de cerner le phénomène du « travail atypique » au Burkina Faso, à travers son historique et les éléments qui le caractérisent. Elle présente ensuite les apports possibles du « travail atypique » au syndicalisme et ceux du syndicalisme au « travail atypique », et fait, pour finir, des propositions pour la syndicalisation du « travail atypique ». Mais avant d’aborder ces différents points, il nous semble nécessaire de donner un aperçu du paysage syndical burkinabè.

 

I-      Bref aperçu du syndicalisme au Burkina Faso

L’échiquier syndical burkinabè présente à ce jour sept centrales syndicales et une multitude de syndicats autonomes (environ 80) qui organisent environ 300.000 travailleurs salariés du secteur formel urbain. Or la grande majorité de la population est rurale et évolue dans le secteur informel. Le mouvement patronal a depuis 1975 une organisation unique, le conseil national du patronat burkinabè (CNPB). On peut ainsi dire que le syndicalisme burkinabè est surtout caractérisé par son pluralisme syndical.

Les sept centrales syndicales des travailleurs sont :

-         la Confédération Générale des Travailleurs du Burkina (CGTB)

-         la Confédération Nationale des Travailleurs du Burkina (CNTB)

-         la Confédération Syndicale du Burkina (CSB)

-         l’Organisation Nationale des Syndicats Libres (ONSL)

-         l’Union Générale des Travailleurs du Burkina (UGTB)

-         l’Union Syndicale des Travailleurs du Burkina (USTB)

-         la Force Ouvrière/Union Nationale des Syndicats Libres (FO/UNSL)

Les militants de ces différentes centrales syndicales proviennent essentiellement des secteurs formels public et privé. C’est au sein de l’ONSL que l’on rencontre les militants du secteur non structuré (travailleurs atypiques et ceux du secteur informel). Cependant vu l’importance du nombre de travailleurs de ce secteur non structuré, toutes les centrales syndicales cherchent à s’intéresser à ce secteur.

Des entretiens réalisés avec les secrétaires généraux des centrales syndicales, il ressort que les causes de l’émiettement des syndicats sont entre autres l’essoufflement des luttes syndicales, le manque d’intérêt des travailleurs pour les syndicats et les infiltrations politiques. Ainsi, nous estimons qu’il appartient aux centrales syndicales de mettre en place une stratégie de réorganisation de ces syndicats (par des efforts de regroupement par exemple) afin d’éviter cet émiettement qui sape le problème de leur représentativité. Cette stratégie aura donc pour conséquence de rendre plus représentatives les centrales syndicales. Mais, nous estimons que les centrales syndicales doivent surtout renforcer leur présence dans toutes les branches d’activités ou de services, soit en créant des syndicats de base soit en mettant en place une stratégie d’intégration des syndicats autonomes en leur sein. S’agissant des « travailleurs atypiques » et des travailleurs du secteur informel, les centrales syndicales doivent travailler à leur éveil de conscience non seulement sur leurs droits et libertés, mais également sur leur capacité à exploiter les potentialités qu’offre l’économie informelle. Cet éveil de conscience amènera sans aucun doute ces travailleurs à s’intéresser aux syndicats.

 

 

II-   Contexte de l’étude

Les Programmes d’ajustement structurel (PAS) successifs, tout en remettant en cause l’intervention de l’Etat dans les domaines économiques et sociaux, ont tenté d’imposer un ordre social par le marché. Mais, dans la plupart des économies africaines, l’approche macroéconomique des politiques fait passer à l’arrière plan la dimension sociale de l’ajustement structurel, ce qui aura pour corollaire le désengagement de l’Etat dans de nombreux secteurs essentiels (économique, social, etc.) et des aménagements du travail en Afrique francophone.

C’est dans ce contexte que le phénomène du « travail atypique » a pris de l’ampleur dans les pays d’Afrique francophone. Il concerne principalement les activités informelles qui occupent un grand nombre de personnes au Burkina Faso.

Le « travail atypique » existe dans la plupart des pays sous différentes formes et ne cesse de croître, à tel point que des congrès furent organisés par l’Organisation International du Travail (OIT) sur ce thème. C’est le cas du congrès de Séoul qui s’est tenu du 14 au 16 septembre 1983.

Au Burkina Faso, le développement du « travail atypique » est principalement dû aux récessions économiques qui ont conduit à la fermeture des entreprises et à la crise de l’emploi. Cette situation a ainsi amené de nombreuses personnes à se convertir à ces types de travail.

C’est pourquoi les organisations syndicales burkinabè s’intéressent à ce secteur. En effet, ces organisations syndicales ont commencé depuis les années 1980 à s'engager dans l'organisation des travailleurs informels et des travailleurs atypiques, à travers des recrutements systématiques dans plusieurs branches d’activités où l’on retrouve des travailleurs peu qualifiés, à revenus très bas, dans des activités de survie, en grande partie auto-employés. Cet engagement des syndicats dans l’organisation des travailleurs atypiques est assez particulier au Burkina Faso dans la mesure où beaucoup de pays africains mettent surtout l’accent sur les travailleurs du secteur informel et prennent rarement en compte ceux du secteur atypique qui sont de plus en plus nombreux avec le contexte économique actuel. Ces travailleurs atypiques évoluent dans tous les secteurs d'activités, dans la production, le commerce et les services sous différentes formes, notamment: travail à domicile, vente dans les rues et marchés, emploi domestique, travail occasionnel (par exemple dans la construction), artisanat, petites entreprises familiales.

Les syndicats burkinabè ambitionnent donc d’organiser le monde du travail et de mobiliser le plus grand nombre de travailleurs en vue d’une prise de conscience de ces travailleurs généralement exclus des mécanismes du pouvoir politique et sans défense sociale. Il ne saurait y prétendre en ne s’intéressant qu’au secteur informel et en délaissant les acteurs plus nombreux du secteur atypique. Mais cela constitue une gageure.

Relever ce défi, c’est parvenir à rassembler et à défendre les intérêts de tous les travailleurs du pays et donc à amener ces derniers à participer à l’action syndicale. Tel est l’enjeu que représente ce secteur atypique pour le syndicalisme burkinabè.

 

III. Notion du travail atypique

L’expression « travail atypique » vient du Bureau international du travail (BIT). Elle apparut pour la première fois dans des rapports établis dans les années 1980 dans le cadre du programme mondial de l’emploi, dont les conclusions soulignaient que le principal problème social d’une grande partie des pays du monde n’était pas le chômage, mais l’existence d’une importante population de travailleurs sous employés. Ces populations peinaient très durement pour produire des biens et des services sans que leur activité soit pour autant reconnue, enregistrée, protégée ou règlementée par les pouvoirs publics.

Cette expression de « travail atypique » désigne ainsi tout un ensemble de caractéristiques propres aux secteurs non structurés (sous emploi, économie informelle, …) dans les pays en développement.

Par « travail atypique », nous pouvons donc entendre tout ce qui relève de l’exception, par opposition au travail formel structuré. Le travailleur atypique ne travaille pas sous les mêmes conditions que le salarié des secteurs formels dans lesquels on peut bénéficier des avantages que permet le lien contractuel avec possibilité de déroulement normal d’une carrière professionnelle. Ce point de vue est d’ailleurs partagé par les leaders syndicaux interrogés. En effet, selon eux, le travail atypique est « un travail qui est difficile à classer, qui ne respecte souvent pas la réglementation du travail en vigueur dans le pays ». Ils précisent aussi que le « travail atypique » « a des contours d’autant plus imprécis que c’est un ensemble de travaux tous azimuts, sans type, sans organisation, ni structure et donc sans avenir certain. C’est un travail qui ne répond à aucune norme législative ». Il est le plus souvent « archaïque, trop traditionnel, pénible et sa rémunération est fonction du rendement ». Comme exemples de « travail atypique », les personnes interrogées citent surtout les travaux à temps partiels, intermittents ou temporaires qui sont souvent relégués au second plan par les autorités en charge du travail.

Le « travail atypique » a été introduit au Burkina Faso, comme nous venons de le souligner, à la faveur des réformes économiques entreprises par le gouvernement, au début des années 1990. Une des exigences de ces réformes a été la relecture du Code du travail qui a permis l’ouverture de bureaux ou offices privés de placements d’entreprises de travail temporaire. Ces bureaux présentent parfois un aspect triangulaire. Ce n’est plus le modèle traditionnel de contrat de travail de type « employé-employeur ». Dans certains cas, en plus de ces deux contractants, il y en a un troisième qui peut être soit l’intermédiaire, soit le client ou l’entreprise utilisatrice. Ces relations de travail singulières se caractérisent par l’existence de deux contrats liant les différentes parties.

Ces nouvelles formes d’utilisation de la main-d’œuvre échappent au cadre juridique classique du contrat de travail tout en conservant l’une des principales caractéristiques de la relation d’emploi, à savoir la subordination juridique des travailleurs à l’égard des personnes pour lesquelles ils travaillent.

            Par ailleurs, les employeurs estiment souvent que la protection de l’emploi instituée par la loi, ne leur laisse pas une liberté suffisante pour adapter leur main-d’œuvre aux exigences de la production. Ils demandent donc à pouvoir recourir à des contrats plus souples et diversifiés qui offrent des emplois, certes moins stables mais qui seraient une alternative au chômage.

Dans le but de suivre les aléas de l’économie, une certaine mobilité de la main-d’œuvre est recherchée, d’où l’émergence d’emplois d’un genre nouveau caractérisé par des relations de « travail atypique ».

En conséquence, le « travailleur atypique » travaille dans des conditions particulières. Il accomplit de nombreuses heures de travail au profit d’un employeur parfois anonyme, mais qui jouit de ce qu’il lui apporte. Pensons par exemple aux centres urbains du Burkina Faso où les jeunes vendeurs de carte de téléphonie mobile passent toute la journée à travailler, surtout au profit des bureaux qui les utilisent. Il y a également beaucoup de grandes entreprises dans lesquelles les employés journaliers travaillent sans aucun avantage lié au service accompli, tel que la sécurité sociale.

            Le « travail atypique », d’une manière générale, s’exécute difficilement, car il n’y a aucune protection sociale. Ainsi, sous l’appellation « travail atypique, on peut ranger tout ce qui relève de l’exception par opposition au travail formel structuré.

 

IV. Caractéristiques du travail atypique

Comme indiqué plus haut, le concept de « travail atypique » semble difficile à cerner. Est considéré comme atypique, tout travail échappant à la notion de type, de modèle. Le « travail atypique » peut donc être défini a contrario de celui normalisé par le Code de travail burkinabè et les conventions collectives.

Les caractéristiques du « travail atypique » sont nombreuses et peuvent être examinées à travers des aspects tels que :

-         le nombre de personnes concernées par le contrat de travail ;

-         l’existence d’un employeur ;

-         la durée du travail ;

-         la sécurité de l’emploi ;

-         l’existence d’un plan de carrière ;

-         le lieu de travail ;

-         l’âge du travailleur ;

-         l’organisation du travail ;

-         les relations employeur-employé.

 

1)      Le nombre de personnes concernées par le contrat de travail

Alors que le modèle contractuel implique généralement deux personnes, en l’occurrence un employé et un employeur, le « travail atypique » peut intéresser plus de deux personnes ou moins de deux personnes. Ainsi, on rencontre de plus en plus au Burkina Faso de travailleurs dont les employeurs directs ne sont pas les vrais patrons (cas des vigiles) ou des travailleurs qui sont leurs propres employeurs (cas des vendeurs ambulants d’articles divers dans les villes et dans les bureaux aux heures de travail).

 

2) L’existence d’un employeur

Certaines formes de travail au Burkina Faso sont caractérisées par l’absence d’un employeur, le travailleur étant son propre employeur. C’est le cas des jeunes vendeurs de cartes téléphoniques ou de mouchoirs sur les artères des villes burkinabè.

 

3)      La durée de travail

Selon le Code du travail burkinabè (2004), la durée légale de travail quotidien est de huit heures par jour et quarante heures par semaine. Certaines catégories de travailleurs ont un volume inférieur ou même supérieur à cette norme. C’est le cas de la plupart des gens de maison, couramment appelés « bonnes », qui travaillent pratiquement tous les jours de la semaine, du matin au soir.

La durée d’un contrat est l’une des clauses essentielles lors de son élaboration. Il en existe deux modalités : soit le contrat à durée déterminée (CDD), soit celui à durée indéterminée (CDI).

Interrogés sur ce qu’ils comprennent par CDD, la plupart des sondés (75%) le définissent comme un contrat dans lequel la durée d’exécution est connue d’avance par les deux parties (employeur et employé) et mentionnée dans le contrat.

Pour les autres enquêtés (environ 25%), c’est un contrat qui a un début et une fin précisés à l’avance par les deux parties, d’un commun accord. Ces enquêtés expliquent que ce type de contrat prend fin au terme de la date convenue, mais peut également prendre fin avant cette date, à certaines conditions et dans certaines circonstances. Il peut aussi être renouvelé aux termes convenus par les parties au contrat. Ainsi, les personnes interrogées ont souvent plusieurs manières de comprendre le CDD.

 

4)      La sécurité de l’emploi

Contrairement au travailleur du secteur formel, le « travailleur atypique » burkinabè ne bénéficie d’aucune sécurité en matière de l’emploi. Il s’agit le plus souvent d’activités ponctuelles, aux lendemains incertains et qui peuvent être aussitôt abandonnées au profit d’autres plus opportunes. En outre, le « travailleur atypique » ne bénéficie d’aucune protection sociale. Il n’est généralement pas déclaré à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) et ne travaille pas dans des conditions d’hygiène réglementaires. On peut citer par exemple le cas des orpailleurs traditionnels.

 

5)      L’existence d’un plan de carrière

Le « travailleur atypique » burkinabè, à l’opposé de celui du secteur structuré, n’a aucune perspective en matière de carrière. Celle-ci peut stagner ou même régresser. C’est à juste titre que le secteur atypique est appelé le secteur de la « débrouillardise ». Il n’y existe aucune possibilité légale et rationnelle d’avancement en grade.

 

6)      L’âge du travailleur

Aux termes des dispositions légales, l’âge minimum d’admission à tout type de travail ne doit pas être inférieur à 16 ans. Cependant, on rencontre au Burkina Faso des travailleurs de moins de 16 ans. Ce sont les enfants travailleurs.

 

7)      Le lieu de travail

Habituellement, le lieu de travail est déterminé par l’employeur. Les travailleurs atypiques ont, pour la plupart, la possibilité de choisir leur lieu de travail, qui se confond parfois avec leur domicile, par exemple dans les cas des opératrices de saisie, des couturières, des tisseuses... Il faut avouer que si ce choix est accepté par l’employeur, c’est parce qu’il amène l’employé à travailler au-delà du volume horaire normal.

 

8)      L’organisation du travail

En général, le « travailleur atypique », à l’inverse du travailleur typique du secteur structuré, a plus de choix pour organiser son travail. Il a la possibilité d’aménager son temps de travail et de repos. Mais cela explique que les vendeurs ambulants d’articles divers travaillent plus longtemps ou que certains travaillent le soir, tardivement, plutôt que de travailler pendant la journée.

 

9)      Le salaire

Partie intégrante des obligations de l’employeur, le salaire est la contrepartie versée à l’employé pour le travail exécuté. Concernant les « travailleurs atypiques », on ne peut pas véritablement parler de salaire, car son montant n’est pas déterminé à l’avance. Il n’est pas régulièrement perçu, et son montant fluctue.

 

10)  Les congés

Le Code de travail consacre le droit du travailleur à un congé annuel et à des permissions. Ces différentes normes ne sont pas souvent respectées au niveau du « travailleur atypique ». Ainsi, les « bonnes » n’ont jamais de congés.

 

V.    Relations entre travail atypique et secteur informel

Il est possible de déterminer des relations entre le « travail atypique » et le secteur informel. En effet, la notion de « travail atypique » se confond souvent avec celle du secteur informel, étant donné qu’elle est définie comme tout travail qui ne respecte pas ou qui n’obéit pas aux normes nationales et internationales du travail. La notion de secteur informel recouvre les petites activités génératrices de revenus qui se déroulent en dehors du cadre règlementaire officiel et qui font appel à des capitaux, des techniques et des compétences modestes, tout en fournissant de faibles revenus et un emploi instable. Elle est aussi apparue dans les années 1970 avec le BIT qui a utilisé cette expression dans ces documents pour désigner tout un ensemble de caractéristiques propres au « secteur non moderne » urbain, surtout celui des pays en développement. Selon des statistiques nationales récentes, la contribution des activités de l’économie informelle au PIB se situe au-dessus de 32%, contre 15% pour le secteur moderne. Cette contribution passe à plus de 50%, si l’on ajoute le secteur informel rural. Les besoins essentiels des populations pauvres tels que l’alimentation, l’habillement, l’accès aux services sociaux de base (éducation, santé et habitat) sont satisfaits grâce aux revenus générés par les emplois créés dans le secteur informel. Ce qui montre l’importance de ce secteur informel dans l’économie nationale burkinabè et le poids qu’il représente dans le budget de l’Etat.

Ce sont les caractéristiques propres au secteur non structuré (que l’on retrouve aussi bien dans la notion de « travail atypique » que dans celle du secteur informel) qui font que les deux notions semblent se confondre.

Une des distinctions fondamentales entre les deux notions est que le travail informel a une durée irrégulière et est souvent sans contrat écrit, alors que le travail atypique peut être quelquefois structuré par l’existence de contrat (exemple : les saisonniers ou les temporaires dans les usines).

Mais le « travail atypique » et le secteur informel sont tous les deux concernés par l’insécurité et par la précarité. Ils sont mal payés, instables et effectués dans de mauvaises conditions. Leur main-d'œuvre est de préférence marginale : enfant, femme, jeune et migrant.

De plus, le « travail atypique » et le travail informel portent dans la plupart des cas sur un certain nombre de catégories de contrats et de types de travail qui sont entre autres le contrat à durée déterminée, le travail à temps partiel, le travail intermittent, le travail temporaire ou intérimaire, le travail au noir.

 

VI. L’apport du syndicalisme au travail atypique

Les secrétaires généraux des centrales syndicales tout comme les autres militants syndicaux ont fait ressortir un certain nombre d’actions qui pourraient aider à une meilleure organisation des travailleurs atypiques. Selon KABORE N., ex-coordonnateur du PADEP ou encore LINGANI S., secrétaire fédéral de la CNTB, l’apport du syndicalisme au « travail atypique » se traduit par  des actions d’information et de sensibilisation des travailleurs du secteur atypique afin de les amener à comprendre qu’ils sont des travailleurs au même titre que ceux des entreprises structurées. Plusieurs militants syndicaux ont évoqué ces différentes actions qui pourraient permettre leur prise de conscience et les possibilités d’action collective afin de défendre leurs intérêts.

Selon les explications fournies lors des entretiens réalisés, ces actions d’information et de sensibilisation visent à montrer que les travailleurs peuvent se regrouper en syndicats pour défendre leurs intérêts, améliorer leurs conditions de travail et participer aux prises de décision. Ces travailleurs doivent comprendre qu’ils contribuent, par leurs activités, au même titre que les autres travailleurs des secteurs structurés, au développement de l’économie nationale. Les organisations syndicales se doivent donc d’aider ces travailleurs par des formations afin d’élever leur prise de conscience.

LINGANI S., de la CNTB, précise aussi que pour organiser ces travailleurs, il faut de la patience, mais également à obtenir confiance des travailleurs et leur faire comprendre les enjeux de leur organisation en syndicats. Ce qui n’est pas, selon lui, chose aisée. En effet, beaucoup de travailleurs de ce secteur sont réticents aux syndicats, et ne viennent vers lui que lorsqu’ils sont en situation de conflit avec leur patron. KABORE N., qui fut coordonnateur sous-régional de la Fédération Internationale du Syndicat du Transport pour l’Afrique Francophone et des pays de la CEDEAO (FISTA) indique que les travailleurs du transport routier, qui relèvent essentiellement du secteur atypique, sont en train d’être organisés par ce syndicat du transport.

En résumé, l’enquête réalisée auprès des responsables et des militants des organisations syndicales révèle que l’apport du syndicalisme au « travail atypique » se traduit par les actions suivantes :

 

1)      Formations et informations. Cela permet, non seulement d’accroître les performances de ces travailleurs, mais également d’aider ces derniers à comprendre les lois régissant le monde du travail. C’est ainsi qu’un militant de l’ONSL s’exprimait en ces termes : «  tant que nous ne sommes pas formés pour mieux connaître nos droits et nos libertés, pour comprendre certains aspects techniques, comme les questions d’inflation des prix des produits, sur la mondialisation de l’économie…, nous serons toujours brimés par les politiciens, par nos employeurs ». Un autre militant de l’UGTB expliquait que « vu le taux élevé de l’analphabétisme de la population, il faudrait entreprendre des sessions d’informations et de formations en faveur des travailleurs et plus particulièrement à l’endroit des travailleurs des secteurs non structurés afin d’élever leur niveau d’instruction et d’éducation ». La grande majorité des militants de base ont fait cas de l’impérieuse nécessité de la formation et de l’information pour l’éveil de conscience des « travailleurs atypiques ».

 

2)      organisation et solidarité. Ces actions consistent à défendre les intérêts de ces travailleurs et à améliorer leurs conditions de vie. Cela passe nécessairement par leur regroupement en association ou par leur affiliation aux mouvements syndicaux, limitant ainsi les récupérations à d’autres fins. A ce propos, à la question « Que proposez-vous pour une meilleure organisation du secteur atypique ? », les militants interrogés ont formulé quelques propositions, parmi lesquelles :


a- sensibilisation et éducation pour une meilleure efficacité dans la lutte. Ces actions peuvent consister, entre autres, en la formation et en l’éducation à la culture syndicale, mais aussi en l’élaboration des revendications et des plates-formes syndicales.

 

b- partage des expériences déjà vécues en étant syndiqués, appui à l’amélioration des conditions de travail et de vie de cette population par la formation pour la défense de leurs intérêts, en vue d'une pleine participation au développement économique et social, soutien dans la défense de leurs intérêts matériels et moraux. Ce soutien peut, par exemple, concerner la résolution de problèmes et en particulier le règlement de conflits, ou la mise en place d’un comité syndical afin que les travailleurs puissent défendre au mieux leurs intérêts.

 

Par ailleurs, il faut noter qu’en 1998, sous l’initiative des centrales syndicales et du BIT, un programme de renforcement de l’action syndicale dans l’économie informelle (PRASEI) a été mis en place. Ce programme a connu deux phases. La première de 1998 à 2001 a permis aux organisations syndicales du Burkina d’entreprendre des actions de sensibilisation à l’égard des travailleurs des secteurs informels et atypiques. La deuxième phase de 2003 à 2006 a permis d’organiser les travailleurs de l’économie informelle dans des syndicats professionnels et à les doter d’une mutuelle appelée Mutuelle de prévoyance sociale du secteur informel (MUPRESSI). La MUPRESSI est accessible à l’ensemble des travailleurs de l’économie informelle sans distinction. Le montant de l’adhésion est de 5.000fcfa (7,6 euros) et la cotisation mensuelle fixée à 1.000fcfa (1,52 euros). Ce programme constitue l’une des premières initiatives importantes des centrales syndicales en faveur des « acteurs atypiques ».

 

En plus de cette mutuelle de prévoyance sociale, il y a eu d’autres acquis en faveur des travailleurs des secteurs non structurés, en l’occurrence « des travailleurs atypiques », au prix des luttes syndicales. Cela afin de sortir ces travailleurs burkinabè de leur état de marginalisation. Ces acquis sont les cinq syndicats autonomes qui ont été créés au profit des travailleurs de plusieurs branches d’activités informelles et atypiques comme les vendeurs des fruits et légumes, les coiffeurs/coiffeuses-esthéticiens/esthéticiennes, les couturiers et les réparateurs de véhicules à deux roues. Ces syndicats sont le SYNATEDRA, le SYNATRAFLA, le SYNACEB, le SYNATRAFOS et le SYNATRACA. Ces structures syndicales permettent à ces travailleurs des secteurs non structurés d’exprimer des revendications. Elles constituent donc, pour eux, un espace de concertation et de dialogue pour pouvoir faire entendre leur voix auprès des employeurs et des pouvoirs politiques.

 

Les principaux points des luttes actuelles des militants syndicalistes et des travailleurs non syndiqués des secteurs non structurés portent non seulement sur des questions de formations professionnelles et syndicales ainsi que de sensibilisation à l’éducation ouvrière. Mais également et surtout, ces luttes portent sur des questions de fiscalité. En effet, les travailleurs et militants syndicalistes des secteurs non structurés réclament la suppression de certains impôts et taxes qui leur semblent injustifiés ou des explications de leur raison d’être. Ils réclament également des possibilités de paiement par tranche d’autres contributions qui leur sont demandées.

 

Ainsi, les luttes syndicales ont permis d’obtenir en faveur des travailleurs des secteurs non structurés de nouvelles formes de solidarité et de protection sociale (mutuelle de prévoyance sociale), mais également la création de syndicats qui sont une tribune de revendications des droits, des libertés et des intérêts matériels et moraux.

 

 VII.           L’apport du travail atypique au syndicalisme

La cotisation constitue l’apport le plus important des « travailleurs atypiques » au niveau des syndicats. Si ces travailleurs cotisent régulièrement, les organisations syndicales gagneraient en nombre d’adhérents, mais également en dynamisme et en efficacité. Mais comme l’explique KABORE N. à propos de la fédération syndicale des transporteurs routiers, cette cotisation est insuffisante. Selon lui, c’est la solidarité internationale qui contribue au fonctionnement du bureau de ce mouvement syndical.

Le secrétaire général de l’USTB, quant à lui, déclare qu’au départ, son organisation ne s’était pas intéressée aux « travailleurs atypiques », du fait des difficultés à les identifier. Le secteur atypique, qui se confond à son avis avec le secteur informel, constitue un apport très important non seulement par la cotisation des travailleurs, mais aussi par le renforcement du nombre de militants.

L’ONSL qui regorge d’un nombre assez important de militants du secteur informel, n’a pas une bonne opinion de cet apport du « travail atypique » au syndicalisme. En effet, selon son secrétaire général, les travailleurs du secteur atypique augmentent inutilement l’effectif des militants, parce que beaucoup d’entre eux ne paient pas leur cotisation et leur carte syndicale. Par conséquent, ces travailleurs ne sont pas stables. Ils changent facilement d’activités et de localité, ce qui ne permet pas facilement de les identifier pour collaborer avec eux.

Cependant, à la question « Qu’est-ce que le secteur atypique peut apporter au syndicalisme ? », les réponses des militants étaient les suivantes :

- contribuer par une cotisation régulière 

- renforcer le mouvement syndical par leur participation active 

- proposer des revendications aux organisations syndicales concernant leurs conditions de travail 

- soutenir les militants syndicaux lors des marches et meetings. Par rapport à ce soutien, beaucoup de leaders syndicaux et des militants de base ont rappelé les défilés du « 1er mai » de chaque année où des associations du secteur informel et des « travailleurs atypiques » participent quelquefois avec les syndicats, et envoient un message revendicatif commun au gouvernement. Cela est une preuve de l’amorce de la prise de conscience réciproque par les travailleurs du secteur moderne et ceux du secteur informel, de leur intérêt commun.

Au regard de ces réponses, les apports les plus significatifs du « travail atypique » au syndicalisme peuvent être de plusieurs ordres :

-         le renforcement de son influence qui s’étendra à tous les travailleurs sans distinction 

-         l’augmentation de la force de dissuasion et de la qualité de participation des syndicats dans les rapports tripartites Employeurs/Etat/Syndicat 

-         l’accroissement de la solidarité et de l’unité entre les travailleurs 

-         l’amélioration de l’autonomie des syndicats grâce à la capacité d’autofinancement des travailleurs.

En somme, l’apport du « travail atypique » au syndicalisme est diversifié. Il concerne surtout l’importance numérique et l’élargissement de la représentativité à plusieurs domaines d’activités, et semble donc plus bénéfique que l’on croit. En tout état de cause, il semble important de poursuivre la réflexion dans ce sens en vue de mieux appréhender tous les paramètres de cet apport.

 

 

Conclusion

 

A l’issue de la présente étude, il apparaît que le phénomène du « travail atypique » est une notion assez difficile à cerner. En dépit des difficultés et des controverses autour de sa définition et de son essence, cette notion touche diverses activités qui s’exercent en dehors du cadre règlementaire officiel. Cependant, le travail atypique pourrait être défini comme une activité qui n’est pas typique c’est-à-dire soit anormale (en dehors du cadre réglementaire) soit normale, mais rare.

Ce phénomène, qui prend de l’ampleur avec la crise économique actuelle pourrait apporter plus de voix et de représentativité au syndicalisme burkinabè s’il était mieux organisé.

D’une façon générale, comme il a été dit plus haut, l’apport du travail atypique au syndicalisme est diversifié. Il concerne surtout l’importance numérique et l’élargissement de la représentativité à plusieurs domaines d’activités. Le syndicalisme, à son tour, contribuera à apporter une plus grande légalité dans ce secteur, en le mobilisant et en l’appuyant par ailleurs dans la recherche de conditions de vie meilleures.

Il convient de retenir la nécessité pour les organisations syndicales et les travailleurs atypiques d’entreprendre des actions mutuelles.                                                                                                                                                          

     En effet, l’étude a prouvé que les syndicats peuvent jouer un rôle primordial, tant au niveau de la structure organisationnelle qu’au niveau de l’amélioration des conditions de travail de ce secteur. Dans le même ordre d’idées, les travailleurs du secteur atypique constitueront un renfort numérique pour les syndicats.

 

Bibliographie

 

AFRISTAT, Le secteur informel et la politique économique en Afrique Sub-saharienne, Actes du séminaire, 10 – 14 mars 1997, Bamako, 3 vol., 27p.

BAUDELOT C., COLLAC M., Travailler pour être heureux, 2003, Fayard, Paris.

BIT, Le dilemme du secteur non structuré, Rapport du Directeur Général, Conférence Internationale du Travail, 78ème session, 1991, Genève, BIT.

BIT, Convention sur le travail à domicile, 1996, Genève, BIT.

BIT, Travail décent et économie informelle, Conférence Internationale du Travail, 90ème session, 2002, Genève, BIT.

HORMEKU T., The Transformation and Development of the Informal Sector and the Role of Trade Unions, communication présentée à un séminaire OUSA/BIT/FSE sur Trade Unions and the Informal Sector, Le Caire, 4-6 mai 1998.

KWASI ADU-AMANKWAH (GTUC), Les Syndicats dans le Secteur Non-Structuré, in Education ouvrière No. 116 (No. 3, 1999), BIT, Genève.

NOVEMBER A., L’évolution du monde syndical en Afrique, 1965, Mouton, Paris.

PETER VAN DIJK, Le secteur informel de Ouagadougou, 1986, l’harmattan, Paris.         

 

 

 

 



[1] La FNV est la Confédération syndicale néerlandaise

[2] L’IES est l’Institut d’études sociales des Pays -Bas

[3] Ont participé à la collecte des données de la présente étude les personnes suivantes : Madeleine Ouedraogo/Yaméogo et Anne Berthe Oubida.

.

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0