Lu: Tous dans la rue – Le mouvement social de l'automne 2010

Ouvrage collectif avec une préface de Gérard Mordillat

Paris, Seuil, 2011, 180 p., 12 euros.

 

Cet ouvrage collectif, composé de contributions d'universitaires, entend replacer le mouvement social contre la réforme des retraites de l'automne 2010 dans le contexte des transformations sociales et politiques que la France a connues ces dernières années.

 

Contrairement à ce que le titre pourrait indiquer, il ne s'agit pas d'un ouvrage de militants qui tirent le bilan du mouvement social de 2010, ni d'une série de contributions en sociologie de l'action collective autour de ce mouvement, mais de mises en perspectives de la part de juristes, de sociologues, de philosophes ou d'économistes....

 

La première contribution est un dialogue entre le juriste Alain Supiot et le sociologue Robert Castel intitulé « Le prix de l'insécurité sociale ». Les deux contributeurs analysent l'évolution de la société salariale depuis 1995 et son mouvement social, l'un à partir d'une connaissance des évolutions juridiques, l'autre à partir de son travail sur La montée des incertitudes (Seuil, 2009) sociales. Les deux auteurs s'accordent pour souligner le changement qui s'est opéré des années 1990 à la fin des années 2000: le retour après le discours sur la fin du travail à une prise en compte de la dure matérialité du travail auquel continue à être confronté une partie importante de la population.

 

L'économiste Frédéric Lordon, dans un article intitulé « Le point de fusion des retraites » (reprenant un article publié auparavant dans le Monde diplomatique) démonte les mécanismes cachés de cette réforme et de sa logique sous-jacente visant au développement de la retraite par capitalisation et s'inscrivant ainsi dans le processus actuel de financiarisation de l'économie.

Au-delà, la contribution de Frédéric Lordon amène néanmoins à s'interroger sur la place de la finance dans l'économie actuelle: la finance constitue-t-elle désormais le coeur de l'économie capitaliste ?

 

L'économiste et sociologue Arnaud Lechavalier pour sa part, dans une intervention intitulée « L'Europe et nos retraites », s'attache à replacer la réforme imposée par le gouvernement français dans le cadre des décisions de l'Union européenne. Il rappelle ainsi par exemple comment la Cour de Justice européenne a édicté en la matière une doctrine inspirée de celle du FMI (Fonds monétaire international).

 

Le chapitre qui s'intéresse le plus directement au mouvement social de l'autonome 2010 du point de vue d'une sociologie des mouvements sociaux est celui de Christophe Aguiton et Lilian Mathieu intitulé « Une combativité intacte ». Les deux interlocuteurs remettent en perspective le mouvement social de 2010 avec les mouvements sociaux qui l'ont précédé en 1995 (contre la réforme de la sécurité sociale), 2003 (contre la réforme des retraites), en 2006 (contre le Contrat première embauche), au-delà ils mettent également en perspective ce cycle de conflictualité avec celui des années 1970.

Christophe Aguiton adopte pour sa part des positions relativement polémiques vis-à-vis de la stratégie traditionnelle et actuelle du syndicalisme de lutte: « Aujourd'hui, les freins à la grève sont bien sur la peur de perdre son emploi, mais aussi le fait que, dans de très nombreux secteurs, la grève ne sert pas à grand-chose, soit parce que la production peut très vite être délocalisée, soit parce le travail s'est dématérialisé et que ce qui n'est pas fait aujourd'hui devra l'être plus tard...On a donc peu de secteurs où la grève est « efficace »: les transports, les raffineries, les ports... » (p.85).

 

L'entretien réalisé avec Camille Peugny constitue une bonne synthèse des éléments tirés de la sociologie de la jeunesse qui permettent d'éclaier la mobilisation des lycéens au sein du mouvement contre la réforme des retraites: la difficulté d'accès à l'emploi, les situations assez diverses en réalité que recoupent cet ensemble homogène que serait la jeunesse, la place de la reproduction sociale, le problème de la gérontocratie politique, les échecs du système scolaire à la française...En tant que démographe, Camille Peugny en profite pour tordre le cou à la critique selon laquelle les jeunes générations souffriraient surtout de l'inconséquence de la génération de 68 en rappelant au contraire le rôle des politiques néo-libérales dans la situation actuelle.

 

« Un néo-libéralisme à bout de souffle ? » est un dialogue entre le politologue Yves Sintomer et le philosophe Emmanuel Renault consacré à l'actualité du néo-libéralisme. Emmanuel Renault en particulier développe une analyse assez combative de la situation, analysant l'émergence d'un nouvelle classe dominante et les collusions berlusconniennes entre économie et politique de la mandature de Nicolas Sarkozy, le retour du mouvement ouvrier et syndical. Yves Sintomer, pour sa part ,souligne entre autres le caractère hégémonique du néo-libéralisme, mais aussi le fait que contrairement à la situation de 1995 en 2010, ce programme a déjà perdu de sa superbe.

 

Pierre Dardot et Christian Leval, tous deux philosophes, dans un texte commun, « Le retour de la guerre sociale », analyse le retour de la lutte des classes comme schème évident de l'analyse de la société malgré ce qu'annonçait Christine Lagarde en 2007. Les auteurs insistent ainsi sur la radicalisation du mouvement social de 2010 par rapport aux mouvements qui l'ont précédé.

 

Le juriste Bastien François, dans une contribution intitulée « Crise sociale ou crise politique ? », insiste sur les problèmes institutionnels liés à la Constitution de la Ve république. Il rappelle ainsi que « la France est la seule démocratie parlementaire au monde où le chef de l'Etat est un gouvernant suprême effectif et, dans le même temps, politiquement irresponsable » (p.171).

 

Un ouvrage donc utile pour faire un rapide tour d'horizon d'un certain nombre de problématiques qui se sont exprimées à travers le mouvement contre la réforme des retraites en 2010.

 

Irène Pereira

 

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