Retirer son argent des banques

L'actualité au prisme de la philosophie


 

Les médias ont fortement relayé, en s’appuyant sur le buzz d’Internet, l’appel d’Eric Cantona à retirer son argent des banques. Au-delà de la synergie entre Internet et les médias pour donner un retentissement à une idée émise par un individu qui, du fait de sa célébrité, parvient à accéder à une tribune publique (on pourrait également penser à l’appel de Coluche à créer les Restos du coeur ou de celui des Enfants de Don quichotte...), il nous semble que la question de la fixation de la critique sociale autour de la question de l’argent pose un problème de nature philosophique.

 

La thèse d’Eric Cantona était la suivante: “Pour parler de la révolution, on va pas prendre les armes, on va pas aller tuer des gens. Il y a une chose très simple à faire (…). Le système est bâti sur le pouvoir des banques. Donc, il peut être détruit par les banques”. L’idée d’Eric Cantona est selon lui une conséquence logique de l’échec du mouvement contre la réforme des retraites: les manifestations et les grèves sont impuissantes parce qu’elles ne frappent plus au bon endroit car le système repose désormais sur la finance.

Néanmoins, on peut se demander si le relais donné à cette idée par la presse et dans l’opinion publique ne relève pas de ce que Marx appelait le fétichisme de la monnaie, phénomène qui n’épargnerait pas d’ailleurs les milieux de la gauche radicale.

 

Qu’est ce que le fétichisme de la monnaie ?

 

En quoi cela consiste-t-il ? Selon Marx, il s’agit de penser que la valeur d’une marchandise provient de l’argent qu’elle est susceptible de générer, et même au-délà, que l’argent, par son simple échange, est capable de créer encore plus de valeur. L’argent aurait une valeur en soi et ne servirait pas uniquement à représenter la valeur des marchandises. Ce phénomène apparaît par exemple avec la spéculation qui entoure le marché d’échange des devises. Il s’agit de spéculer sur le taux de change des monnaies pour gagner de l’argent.

 

En réalité, pour Marx, ce n’est pas l’argent qui confère leur valeur aux marchandises et l’argent en lui-même n’est pas susceptible non plus de créer par lui même de la valeur. La valeur d’une marchandise correspond à la quantité de travail incorporé dans cette marchandise et cette quantité est mesurée en temps de travail socialement nécessaire pour la produire.

 

Place du système financier au sein du système capitaliste aujourd’hui

 

Il existe actuellement au moins deux conceptions au sein de la gauche radicale des rapports entre capitalisme et finance, qui accordent à la finance une place centrale et que l’on peut présenter schématiquement de la manière suivante.

La version que l’on peut appeler anti-libérale et néo-keynésienne consiste à fustiger le capitalisme financier, qui aurait pris une extention disproportionnée contre le bon capitalisme industriel. De fait, il s’agit de s’attaquer à la finance pour humaniser le capitalisme. Ce sont par exemple les positions d’ATTAC à ses débuts, avec la revendication d’une taxation des transactions financières.

Une seconde version est celle qui analyse le capitalisme en mettant en avant un tournant post-moderne: capitalisme en réseau, dominé par la finance, capitalisme dominé par ses dimensions culturelles. L’explosion du volume des transactions financières est la marque de ce changement de nature du capitalisme.

 

Dans la conception qui est celle de Marx, cette explosion du volume des transactions financières ne s’explique ni par une déconnexion entre finance et capitalisme d’entreprise (thèse anti-libérale), ni par une mutation post-moderne du capitalisme.

Cette transformation repose en partie sur le fétichisme de la monnaie.

 

La fascination provoquée par l’argent conduit les agents économiques financiers à croire que les titres financiers génèrent du profit par leur simple échange. La valeur des titres financiers n’est plus en rapport avec l’économie réelle, c’est-à-dire avec la production de biens et de services. Les entreprises sont sur-évaluées par le marché par rapport à leurs résultats réels. Les bulles spéculatives éclatent alors lorsque l’annonce de cette déconnexion fait perdre aux acteurs financiers leur confiance et leur fascination, au moins momentanément, dans le pouvoir de l’argent.

 

D’une certaine manière, l’appel de Cantona à retirer son argent des banques participe de la même fascination pour l’idée qu’au coeur du système capitaliste se trouverait le système financier alors que la base de l’économie capitaliste se trouve dans le système de production, au sein des entreprises de biens et de services.

 

Irène Pereira

 

 

Pour aller plus loin:

 

Marx, “Le caractère fétiche de la marchandise et son secrêt”, in Le capital, Livre I.

 

 

 

 

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