Le viol et la question de l’interrogation philosophique sur l’identité personnelle

L'actualité au prisme de la philosophie

 

Trois associations féministes - Osez le féminisme, Mix-Cité et le Collectif féministe contre le viol - ont lancé une campagne contre le viol, intitulée “La honte doit changer de camp”. Cette campagne vise à lever un tabou.

 

Selon les chiffres disponibles, ce serait 75 000 femmes chaque année en France qui seraient victimes de viol, soit une femme toutes les 7 minutes. Néanmoins, selon les organisatrices de la campagne, cette réalité ne serait que peu prise en compte.

Ainsi, si le viol est une réalité dont les principales victimes sont des femmes agressées par des hommes, la philosophie, discours émanant historiquement surtout des hommes, n’a pas pour sa part traité de cette question. Pourtant la question du viol, et plus particulièrement du viol sexuel, amène à s’interroger sur ce qui constitue l’identité personnelle.

 

Viol des consciences et viol sexuel

 

La philosophie a abondamment traité la question de la violence, par exemple à partir de la question de la guerre. Si la notion de “viol” est abordée, ce n’est pas pour parler d’agression sexuelle, mais pour évoquer la question du viol des consciences. Violer une conscience, ce serait pénétrer de force dans l’intimité psychique d’autrui.

Mais cette expression du viol des consciences, calquée sur le viol sexuel, est pour sa part fantasmatique: elle évoque la possibilité de pouvoir pénétrer dans les pensées, l’esprit ou le for intérieur d’une personne.

 

Mais dans l’opposition entre le viol sexuel, lui bien réel, et le viol des consciences, se joue la question de la place du corps dans la définition de la personne. Pour l’individualisme possessif du libéralisme, l’individu est avant tout caractérisé par sa conscience, tandis qu’il a un corps avec lequel il est dans un rapport de possession. Dans une telle acception, le viol de la personne en soi ne pourrait être que le viol de sa conscience. D’où l’importance, dans une telle conception, de la liberté de conscience et de la tolérance.

 

La question du viol sexuel nous amène à nous poser la question de l’identité personnelle d’une autre manière, d’un point de vue cette fois matérialiste du corps vivant, ou même de la phénoménologie de la chair de Maurice Merleau-Ponty, et non pas de l’idéalisme libéral: a-t-on un corps ou est-on son corps ?

Si le viol est bien une atteinte à l’intégrité de la personne, c’est qu’il n’y a pas sous le corps un sujet métaphysique distinct de celui-ci.

 

La remise en cause de la conception libérale de l’identité personnelle

 

La question de la violence sexuelle nous amène donc de ce point de vue à remettre en cause la conception libérale, issue de Locke, de l’identité personnelle. Mais ce premier aspect a deux corollaires.

 

Le premier, c’est que contrairement à ce qu’affirme le slogan féministe, qui reprend de manière impensée l’individualisme possessif du libéralisme, mon corps ne m’appartient pas. Je ne suis pas dans un rapport de possession à mon corps. Il ne s’agit pas, à travers la question de l’avortement, de la libre disposition de leur corps par les femmes, mais tout simplement de la libre disposition d’elles-mêmes.

 

Le second, c’est que le consentement, c’est-à-dire l’autonomie de la volonté, contrairement à ce qu’affirme la théorie libérale, ne suffit pas pour déterminer l’autonomie du sujet. En effet, cette autonomie n’est pas donnée, mais construite. D’où la notion de majorité sexuelle. Ainsi, le consentement de l’enfant ne constitue pas un critère suffisant pour déterminer l’autonomie de sa décision face à l’adulte.

 

Irène Pereira

 

Pour aller plus loin sur la question de l’identité individuelle du point de vue du libéralisme et de sa critique:

 

Identité et différence de John Locke - l’invention de la conscience (1694), texte traduit et commenté par Etienne Balibar, Paris, Seuil, 1998.

 

Macpherson, C.B. La théorie politique de l’individualisme possessif (1962), Paris, Gallimard, 2004. 

 

Diderot D., Le rêve de d'Alembert (1769)

 

Merleau-Ponty M., Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1970

 

 

 

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