Pourquoi se soucier de la pollution du Danube ?

L'actualité au prisme de la philosophie



Après la pollution du golfe du Mexique suite à l’accident survenu dans une plate-forme pétrolière de BP, c’est aujourd’hui la boue toxique d’une usine d'aluminium qui menace les eaux du Danube. 2010 a été déclarée année internationale de la biodiversité par l’ONU et une conférence internationale sur ce sujet vient de s’ouvrir à Nagoya (au Japon). Si le souci écologique est devenu une préoccupation partagée dans nos sociétés, comment pour autant se justifie-t-elle d’un point de vue philosophique ?

 

Les philosophes et les écologistes s’opposent entre-eux sur les fondements et les justifications de ce souci écologiste. Il est possible ainsi de distinguer deux principaux courants que l’on pourrait qualifier d’une part de profond et d’autre part d’humaniste.

 

Dans cet article, “profond” qualifie l’ensemble des courants qui entendent fonder sur la nature elle-même ou le vivant la préoccupation écologiste. On peut à ce propos distinguer au sein de l’écologie profonde l’éthique de l’environnement (voir glossaire) à tendance kantienne et déontologique défendue en France par exemple par Hicham-Stephane Afeissa, et qui considère que la nature a une valeur en soi, de l’anti-spécisme utilitariste théorisé par Peter Singer, qui fait reposer les droits des animaux sur leur capacité à éprouver de la souffrance.

 

De notre point de vue, les théories de l’écologie profonde présentent un problème pratique et théorique majeur. La nature et les autres êtres vivants ne s’organisent pas eux-mêmes et ne revendiquent pas eux-mêmes des droits. C’est les humains qui représentent des non-humains. Se posent alors plusieurs problèmes. Comment déterminer quels sont les humains habilités à parler à la place des non-humains ? Que faire en cas de prétentions divergentes ? Comment les trancher ? Quels critères permettront de déterminer que ce que les humains disent correspond bien aux intérêts des non-humains et ne sont pas une projection de leurs idées personnelles sur la question ? Si le problème de la représentation des humains par d’autres humains, comme l’a montré Rousseau, est compliquée, a fortiori,celle de non-humains.

 

Mais dans ce cas, comment est-il possible de justifier la protection de la nature et des autres êtres vivants ? L’environnement et les autres êtres vivants n’ont-ils de possibilité de continuer à exister tels qu’ils sont que dans la mesure où ils présentent un intérêt, une utilité pour les humains ? L’humanité doit-elle préserver des espaces naturels ou des êtres vivants qui ne présentent aucun intérêt pour les êtres humains ? On peut certes imaginer que l’on devrait les préserver parce qu’ils peuvent présenter un intérêt futur que nous pourrions ignorer actuellement.

 

Mais c’est sur un autre type d’arguments que nous souhaiterions insister, qui a selon nous un sens philosophique plus fort. L’espèce humaine n’est pas un empire dans un empire, elle est une espèce naturelle, une espèce appartenant à l’ordre du vivant.

Or accepter la logique d’exploitation économique capitaliste de la nature et des êtres vivants, ou encore se comporter de manière cruelle envers d’autres êtres vivants, n’est-ce pas de ce fait autoriser et mettre en place la logique de l’application de tels actes à des êtres humains en tant qu’ils appartiennent eux aussi au vivant ? C’est selon nous ce qui peut justifier pour les êtres humains, et donc dans une perspective humaniste, le souci écologiste d’un point de vue philosophique.

 

Irène Pereira

 

Pour aller plus loin:

 

Hicham-Stephane Afeissa,Ethique de l'environnement. Nature, valeur, respect, Vrin, 2007.

Peter Singer, La libération animale, Grasset, 1993.

Herbert Marcuse, L’homme unidimensionnel, Ed. de Minuit, 1968.

 

 

 

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