Fractures numériques et rapports sociaux.

 

L’usage de la notion de fracture numérique pose un certain nombre de problèmes méthodologiques qui ont été soulevés par différents chercheurs. Dans le cadre d’une approche qui s'intéresse au rapport social technocratique, il s’agit d’analyser la manière dont le numérique induit son propre rapport social, mais celui-ci ne peut être étudié que dans l’imbrication avec d’autres rapports sociaux.

 

Les difficultés méthodologique de la notion de fracture numérique

 

Les travaux sur cette notion soulignent plusieurs difficultés méthodologiques parmi lesquelles:

 

- le fait que la notion de fracture numérique recoupe plusieurs fractures différentes: géographique (nord/sud, ville/campagne), économique, de genre, d’usages…

 

- le fait que cette notion n’aurait pas d’intérêt en elle-même: elle ne ferait que souligner des fractures sociales qui existent déjà: inégalités économiques, de genre…

 

- le fait que cette notion reposerait sur le présupposé d’une voie unique de développement et de fait elle induirait un biais développementaliste. Il y aurait derrière la notion de fracture numérique une croyance dans l’idéologie du progrès qui peut être instrumentalisée au service d’intérêts économiques.

 

Rapport social technocratique et numérique

 

Il est possible néanmoins de considérer que, dans l’évolution de la technique moderne, les technologies du numérique constituent une nouvelle étape en induisant leur propre rapport social. Néanmoins, celui-ci doit être analysé de manière imbriquée avec les rapports sociaux capitalistes et de sexe, en particulier.

 

Le rapport social induit par le numérique tient à des dimensions techniques et économiques. Il existe une inégalité d’accès économiques aux technologies du numérique et en particulier aux dernières innovations. Il est d’ailleurs probable que ce soit l’inégalité économique d’accès aux innovations qui devienne prépondérante à l’avenir. Or, comme l’avait souligné Marx, dans un certain état des forces de production, les rapports sociaux tendent à constituer des artefacts en besoin. En soit, être équipé des technologies du numérique n’est pas une nécessité, mais cela est imposé comme tel par un certain type d’organisation sociale. Il ne s’agit pas d’une évolution naturelle, mais c’est la conséquence d’une construction sociale inégalitaire.

 

Mais la fracture numérique n’est pas qu’une fracture liée à l’accès: il existe une fracture de “second niveau”, liée aux usages (1). Le numérique conduit à creuser les inégalités de capital culturel. Les compétences de haut niveau qu’exige un usage “intelligent” d’Internet implique des usagers ayant un haut niveau de formation intellectuelle. Les possibilités ouvertes par Internet en termes d’accès à l’information et à la formation ne sont pleinement favorables qu’à des personnes qui ont la compétence d’apprendre de manière autonome.

 

Dans le monde du travail, cela peut à terme conduire, sous l’effet de la robotisation, à ne reconnaître comme qualifiées que des compétences de très haut niveau cognitif. Tous les savoir-faire qui peuvent être automatisés courent alors le risque de se trouver déqualifiés: cette menace pèse en partie par exemple sur des emplois jugés aujourd’hui comme nécessitant un haut niveau de qualification comme les activités de formation et d’enseignement.

 

 

(1) Cette fracture peut être illustrée par la loi (ou plutôt l'hypothèse) de 1/9/90: sur 100 utilisateurs d'Internet, 1 est un contributeur créatif régulier, 9 sont des contributeurs occasionnels, et 90 des consommateurs passifs qui tout au plus relaient les informations. La loi du 1% est formulée non seulement pour la production de contenu, mais également pour la répartition des richesses générées par les contenus. 

 

Bibliographie:

 

Centre d’analyse stratégique, Le fossé numérique, Paris, La Documentation française, 2011. URL:

http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/61403-le-fosse-numerique-en-france.pdf

 

Dupuy Gabriel, « Fracture et dépendance: l'enfer des réseaux? », Flux 1/ 2011 (n° 83), p. 6-23 - URL : www.cairn.info/revue-flux-2011-1-page-6.htm.

 

Moatty Frédéric, « L'évolution du rôle du capital scolaire dans le modèle sociétal français d'accès à l'informatique au travail », Réseaux 5/ 2004 (n° 127-128), p. 83-114

URL : www.cairn.info/revue-reseaux-2004-5-page-83.htm.

DOI : 10.3917/res.127.0083

 

Ollivier Bruno, « Fracture numérique : ne soyons pas dupes des mots », Hermès, La Revue 2/ 2006 (n° 45), p. 33-40 - URL : www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2006-2-page-33.htm.

 

Rallet Alain, Rochelandet Fabrice, « La fracture numérique : une faille sans fondement ? », Réseaux 5/ 2004 (n° 127-128), p. 19-54

URL : www.cairn.info/revue-reseaux-2004-5-page-19.htm.

 

Rizza Caroline, « La fracture numérique, paradoxe de la génération Internet », Hermès, La Revue 2/ 2006 (n° 45), p. 25-32

URL : www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2006-2-page-25.htm.

 

 

 

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