Pascal Guibert et Pierre Perrier dir., La socialisation professionnelle des enseignants du secondaire. Parcours, expériences, épreuves, Rennes, PUR, 2012, 162 p

 

Résumé

L’ouvrage se donne pour ambition de restituer les expériences et les épreuves vécues par les enseignants débutants dans le processus de socialisation professionnelle, une étape de la carrière qui préfigure les recompositions à venir de la profession. Il s’agit également de donner toute sa place au cheminement individuel, mais aussi identitaire qui se fait dans un parcours de socialisation commencé bien avant l’entrée dans le métier.

Les nouveaux enseignants aujourd’hui doivent davantage faire appel à la réflexivité et au travail sur soi, avec le sentiment « de devoir exercer un métier que l’on a pas appris » (p. 10).

 

La première partie, s’intéresse aux « étapes et voies d’accès au métier d’enseignant ».

Frédéric Charles  analyse les types de socialisation à l’œuvre dans le recrutement des professeurs du secondaire en Angleterre à la fin des années 1980 et en France dans les années 1990 et 2000. Il montre que le rapport à la discipline, qui joue un rôle important dans le choix professionnel doit être complété par l’analyse des logiques de reproduction du groupe professionnel qui mobilise les concepts de socialisation primaire spécifique (un des parents au moins salarié du secteur public) et de socialisation anticipatrice (intériorisation par les individus des valeurs du groupe auquel ils souhaitent appartenir, mais aussi processus d’orientation et de sélection des individus). En Angleterre, les propriétés sociales des individus jouent un rôle déterminant dans le processus de cooptation des nouveaux enseignants. En France, malgré un mode de recrutement très différent, les mêmes logiques de socialisation spécifique et anticipatrice sont à l’œuvre.

Florence Legendre interroge les spécificités des représentations du métier des enseignants du secondaire issus des immigrations dans l’académie de Créteil. Sous l’apparence d’un « « conformisme » enseignant » (p. 55) qui fait que la majorité des enseignants adhèrent globalement aux grands principes de l’école républicaine, des différences se font jour en fonction de l’origine sociale et migratoire (un seul parent ou deux d’origine immigrée, ancienneté de la migration). Les enseignants issus de deux parents immigrés, qui sont aussi les moins favorisés socialement mais qui ont connu un parcours de mobilité sociale intergénérationnelle ascendante et un parcours de réussite scolaire improbable, ont ainsi une vision plus positive du métier, se considèrent davantage comme des éducateurs que comme des transmetteurs de connaissances. Mais ils participent également à la création d’espaces professionnels réservés, voire socialement ségrégés en étant plus nombreux à choisir les postes en ZEP. 

 

La deuxième partie étudie « la confrontation au métier ».

Pascal Guibert et Gilles Lazuech, à partir d’un suivi longitudinal entre 1998 et 2003, distinguent deux grands groupes de motivation dans l’accès au professorat: les « héritiers », entrés dans le métier sur la base de la vocation et qui sont dans une logique de reproduction et de transmission des savoirs et les « oblats »,  d’origine sociale plus modeste et qui ont bien incorporé les nouvelles dispositions professionnelles en centrant leur mission sur l’éducation. Les seconds sont les plus satisfaits du métier. Les auteurs soulignent aussi la précarité qui caractérise l’entrée dans le métier, même si les professeurs de lycée semblent privilégiés par rapport à ceux des lycées professionnels et des collèges. Par ailleurs, le travail collectif n’est pas également accessible à tous les débutants et repose surtout sur les affinités sélectives et les intérêts disciplinaires.  Pour toutes ces raisons, « les premières années sont vécues sur le mode de l’isolement et de l’opposition générationnelle » (p. 71) le groupe des pairs se présentant comme un refuge.

Pierre Périer s’intéresse aux « ressources, adaptations et révisions » que les jeunes enseignants mettent en œuvre face aux épreuves des débuts à partir d’une enquête sur les deux premières années d’exercice (dont l’année de stage) entre 2005 et 2007. Les enseignants ne bénéficient plus d’une légitimité d’institution et se trouvent dans une situation d’incertitude et doivent s’engager personnellement en mobilisant leur subjectivité. C’est pourquoi les débutants adoptent « un modèle d’action privilégiant le rapport pragmatique et expérientiel à la pratique » (p. 83) qui les conduit à opposer le terrain et la théorie, avec une tendance à une conception personnalisée du métier. Le choix du métier lui-même est soumis à rude épreuve, avec des « remaniement identitaires et des « deuils » » (p. 86) caractéristiques d’un modèle de socialisation professionnelle désormais fondé sur une posture réflexive.

Thérèse Perez-Roux et Vincent Troger s’intéressent au rapport au savoir des élèves professeurs en lycée professionnel. Les auteurs s’appuient sur deux enquêtes en 2007-2008 auprès de stagiaires IUFM et d’élèves de lycées professionnels en 2009-2010. Malgré la diversité particulièrement forte de leurs parcours scolaires, sociaux et professionnels, les PLP débutants réagissent de façon similaire à la particularité de ce public scolaire (origine plus populaire que la moyenne, retard scolaire plus important, rapport pratique aux savoirs): ils expriment tous de l’étonnement face aux difficultés scolaires de leurs élèves et se trouvent obligés d’improviser pour gérer les difficultés de niveau et de comportement. Mais si tous se réfèrent à une éthique démocratique fondée sur des valeurs de justice, solidarité et égalité des chances, certains mobilisent des justifications qui renvoient au « monde domestique » (droit de l’enfant, confiance, écoute) avec une centralité de la personne prise dans sa globalité, tandis que d’autres mobilisent le modèle du « monde industriel », dans lequel l’éducation est envisagée comme un problème technique avec un intérêt central pour une pédagogie par objectifs et pour les modes opératoires. Ces deux mondes de justification ont quand même en commun de s’écarter d’un modèle de transmission disciplinaire.

 

La troisième partie s’intéresse aux enjeux de la formation et de l’insertion professionnelle des enseignants débutants.

Luc Ria s’appuie sur les données empiriques d’un observatoire de l’activité des enseignants débutants du secondaire exerçant en banlieue parisienne dans l’éducation prioritaire. Il montre que les préconceptions précoces issues de la scolarité peuvent être à l’origine des difficultés des enseignants. Il analyse 5 types de dispositions à agir et leurs effets sur la situation en classe, tout en s’intéressant à la façon dont elles peuvent constituer les étapes d’un apprentissage par l’action du métier. Il en ressort une remise en cause de la dichotomie courante que l’auteur appelle « « contrôler » versus « enseigner » » : il s’agit là de « deux étapes d’un même continuum développemental chez les débutants » (p. 122), la discipline permettant la transmission disciplinaire. Mais les processus de professionnalisation par l’action en classe et les échanges formels et informels avec les autres membres de la communauté éducative ne peuvent pas constituer une professionnalisation. C’est pourquoi il est nécessaire de mettre en place des modalités d’accompagnement et des espaces informels d’observation et d’analyse des pratiques entre pairs, des modalités d’analyse de leurs pratiques par les acteurs fondées sur la recherche et de former les formateurs et les tuteurs. 

Bernard Wentzel et Abdeljalil Akkari analysent les processus d’insertion professionnelle des enseignants du secondaire en Suisse à partir d’une enquête longitudinale commencée en 2006 sur les stagiaires de hautes écoles pédagogiques (HEP), créées à partir de la fin des années 1990 dans un objectif de professionnalisation. Leurs recherches montrent un rejet par les nouveaux enseignants de la théorie et une primauté accordée à l’expérience, ce qui révèle un décalage important entre une formation universitarisée et la communauté des professionnels. Elles montrent aussi qu’un rapport au métier fondé sur la vocation est marginal, le choix professionnel étant davantage un choix raisonné, qui peut être lié à une discipline étudiée à l’université tout autant qu’à l’image d’un métier qui laisse du temps libre, voire un choix par défaut pour certains. Une majorité d’enseignants ne se voient pas passer toute leur carrière dans l’enseignement, ce qui est un phénomène nouveau. Les auteurs explorent le concept d’établissement formateur, qu’ils cherchent à opérationnaliser à travers un dispositif mis en place en 2010-11. Ils concluent qu’un modèle de développement professionnel basé sur la réflexivité comme processus individuel est peu adapté à des enseignants débutants car ces derniers se caractérisent par un rapport spécifique à l’urgence et une place prépondérante des enjeux identitaires.

 

La conclusion de l’ouvrage insiste sur la nécessité d’accompagner les nouveaux enseignants et de les intégrer dans leur établissement tout en mettant en avant l’importance d’une culture professionnelle renouvelée. Mais si on est en train « de passer d’une conception des premières années comme ayant pour fonction d’ « endurcir » le néophyte, pour transformer définitivement l’étudiant en enseignant aguerri » (p. 146) à l’idée d’un accompagnement des débutants, les réformes mises en œuvre en France semble aller à rebours de cette évolution.

 

En postface, Philippe Perrenoud identifie un « travail de contre socialisation, de dénigrement actif de la formation initiale », qui aboutit à une prltarisation du métier enseignant. Il déplore  « l’indifférence de la société française pour ses professeurs, le peu de cas qu’elle fait de leurs états d’âme, de leurs angoisses, de leurs doutes » (p. 151). Pour expliquer cela, il propose plusieurs hypothèses : 1-on pense que l’entrée dans le métier est une épreuve inévitable mais tout à fait surmontable, 2-le métier d’enseignant ne s’apprend que sur le tas, 3- dans l’état de l’emploi, un certain cynisme peut conduire à penser qu’il y aura toujours des professeurs.

 

Notre avis sur l’ouvrage :

 

Poser la question de la socialisation professionnelle des nouveaux enseignants, c’est poser une question centrale dans la reproduction et la perpétuation de l’ordre social. En effet, si on admet que l’école participe aux mécanismes de reproduction sociale, alors les professeurs, par la représentation qu’ils se construisent de leur travail et de la fonction de l’institution scolaire jouent ici un rôle central.

Or l’ouvrage, qui juxtapose sans les faire dialoguer explicitement différents paradigmes et différentes disciplines des sciences de l’éducation, nous semble montrer deux choses essentielles.

D’abord, le groupe professionnel, qui est lui-même le produit de sa propre reproduction par des processus de socialisation primaire et secondaire amorcés bien avant l’entrée dans le métier, connaît aujourd’hui des transformations.

Ensuite, ce groupe professionnel est lui-même confronté à des transformations de la société et de l’institution scolaire qui affectent les logiques de sa propre professionnalisation. Dans ce contexte, les auteurs soulignent l’importance croissante des subjectivités et des processus identitaires dans la construction d’une réflexivité professionnelle enseignante.

En creux, ils semblent également attirer l’attention sur une transformation majeure de la pratique enseignante mais aussi de la définition même du métier enseignant. Dire qu’il s’agit désormais moins de transmettre des contenus scolaires figés issus de la culture légitime et plus d’éduquer des enfants considérés d’abord comme des personnes dans un contexte où l’autorité scolaire ne va plus de soi, c’est dire que les enseignants sont des individus qui s’adressent à des individus. Quelle est alors la fonction de l’école dans l’ordre social ? Comment la formation et la socialisation des individus (enseignants et élèves) intervient-elle dans la fabrique de l’ordre social ?

Si en plus, comme le souligne l’ouvrage, la « formation » des enseignants se limite à la confrontation des nouveaux recrutés à une série d’épreuves de début de carrière au caractère prétendument auto-formateur, c’est donc que l’institution scolaire renonce ostensiblement à élaborer un quelconque projet de définition de ce qu’est un élève, de ce que l’école doit lui apporter et du rôle que l’enseignant doit jouer dans cette relation.

 

Nada Chaar

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