Pourquoi critiquer l’industrie agro-chimique et les OGM ?

   Les compagnies agro-chimiques [1] font régulièrement l’objet de critiques virulentes de la part des défenseurs de l’environnement. Je souhaiterais ici rappeler les principaux griefs contre cette industrie, et en particulier contre la commercialisation des organismes génétiquement modifiés et donner des arguments, d’ordre éthique, en faveur des opposants à cette industrie et à la vision du monde qu’elle porte.

 

-  L’activité de ces sociétés agro-chimiques pose tout d’abord un problème de santé publique. Elles sont en effet les principales productrices de semences génétiquement modifiées, or nous ne savons toujours rien de la nocivité des OGM cultivés en plein champ [2]. Ces organismes sont  commercialisés à grande échelle en dépit du principe de précaution. A titre d’exemple la société Monsanto vend notamment des semences génétiquement modifiées pour résister à son herbicide Roundup, utilisé en épandage. Il s’agit d’un herbicide non sélectif, dont la substance active, le glyphosate, est connue pour être irritante et toxique [3]

Mais il ne s’agit pas ici de faire la liste des activités potentiellement dangereuses liées à cette industrie, j’invite pour cela à se référer à l’abondante littérature relative à ces sociétés sur internet (et notamment les pages wikipedia qui leur sont consacrées) qui dresse une liste édifiante de leurs activités controversées.

 

-  Les critiques que je formule sont plus d’ordre éthique que simplement technique. Je voudrais rappeler que les manipulations du vivant procèdent d’une vision du monde qui, à mon avis, est plus que contestable. En manipulant un certain type de plante, on obtient un OGM brevetable : on intègre donc le vivant lui-même dans la sphère de l’économie marchande. Il faut savoir que la société Monsanto a mis en place un service d’inspection chargé de vérifier que les agriculteurs ne replantent pas les graines issues d’OGM brevetés.  En France, une loi a été votée le 8 décembre 2011 interdisant l’usage libre et gratuit des graines (21 espèces sont concernées), à moins de payer l’entreprise productrice [4] !

 

-  Sous couvert d’amélioration des espèces et des semences, pour le bien commun, il s’agit en définitive d’une instrumentalisation du vivant et d’une volonté d’anéantissement de la nature dite « sauvage » (le wilderness des anglo-saxons). En définitive nous reprogrammons la nature pour des fins humaines, c’est-à-dire contingentes, éventuellement non justifiables (pour l'industrie du loisir ou la consommation de produits de luxe) et inutiles.  Heidegger analysait déjà ce phénomène au début des années 50 [5]  : Selon lui l’essence de la technique moderne réside dans sa capacité à faire surgir, ou dévoiler, une réalité extérieure à l’ordre naturel et donc, par conséquent, elle contribue à « faire » la nature. Nous n’avons pas seulement accru notre pouvoir sur la nature, nous n’entretenons pas seulement un rapport plus agressif avec elle, nous avons estompé les frontières entre la nature et la société et introduit dans le règne de la nature l’imprévisibilité constitutive de l’action humaine.

 

  En définitive il s’agit d’une œuvre d’artificialisation et de marchandisation du vivant à l’échelle de la planète. La nature sauvage, envisagée à la fois comme environnement (constitutif de la « nature » humaine, car l’homme ne s’est jamais (encore ?) envisagé en dehors de la nature) et comme altérité (avec laquelle nous entretenons un « dialogue » esthétique, affectif, spirituel). Si cette œuvre de transformation globale venait à s’accomplir en totalité nous serions condamnés à vivre dans un monde entièrement anthropomorphe, sans altérité, un gigantesque parc d'attraction global où la nature transformée ne servirait qu’aux besoins de consommation courante (nourriture, loisirs, soins) dûment facturés par quelques multinationales.  Perspective réjouissante ?

 

  Pour citer Hans Jonas, qui critiquait l’utopie de Ernst Bloch (qui visait justement une transformation radicale de la nature pour les besoins humains) : « le paradoxe que Bloch ne voit pas est que c'est justement la nature non changée par l'homme et non exploitée, la nature "sauvage" qui est la nature "humaine", à savoir celle qui parle à l'homme (...) Seule la vie qui est ménagée a le pouvoir de se manifester » [6].

 

Jérôme Vautrin.



[1] Les compagnies agro-chimiques les plus importantes sont Monsanto, Syngenta, Bayer, Dow Chemical, DuPont de Nemours et BASF.

 

[2] A cet égard l’étude publiée en septembre 2012 dans la revue "Food and chemical toxicology", portant sur la toxicité présumée du Roundup et du maïs OGM NK 603, menée par le Pr Gille-Eric Séralini et une équipe de l'université de Caen, même si elle est contestée, permet au moins de mettre en doute le caractère inoffensif des organismes génétiquement modifiés.

 

[3] Voici un lien vers un article paru dans le journal Le Monde, daté du 12 mars 2005, et qui traite de la toxicité supposée du Roundup: http://www.lemonde.fr/planete/article/2005/03/12/le-roundup-n-intoxique-pas-que-les-mauvaises-herbes_401412_3244.html

 

[4] Voici un lien vers le texte de  loi officiel: http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=007ED034B1EECD430C99803CCF599117.tpdjo08v_2?cidTexte=JORFTEXT000024940172&categorieLien=id

 

[5] HEIDEGGER Martin, « La question de la technique », (1953), dans Essais et conférences, Gallimard, 1958.

 

[6] JONAS Hans,  Le principe responsabilité, Flammarion, 1979

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Commentaires: 3
  • #1

    Fvermorel (mercredi, 26 juin 2013 13:39)

    Mec, j'aime bien ton article et je souscris à au moins 99% de ce que tu dis. En plus, j'apprends des choses. Par contre, tu voudrais pas trouver un titre un peu moins chiant ?

  • #2

    Nicolas Sartigny (jeudi, 27 juin 2013 17:04)

    Je pense qu'il est bon de rappeler que le monde est déjà artificiel. La majorités des fruits et légumes que nous mangeons sont issus de croisements (Même de simples boutures restent une entorse au naturel) et les chiens et les chats ont été créés pour la grande partie d'entre eux pour contenter l'humain. On tretrouvera ça aussi pour les chevaux de labours, les vaches laitières, etc... On a déjà recréé le monde, mais bon, peut être est-il temps d'arrêter.

  • #3

    Jérôme Vautrin (jeudi, 27 juin 2013 18:03)

    A Nicolas: c’est tout à fait exact. On peut en effet se demander où se situe la frontière entre le naturel et l’artificiel, si la nature « sauvage » existe encore. En réalité, s’il n’existe quasiment plus de zones de nature sauvage (excepté dans quelques rares endroits extrêmement circonscris de la planète), la nature (entendue comme altérité radicale, c’est-à-dire non humaine) existe toujours dans les individus de nature (tel arbre, telle plante, tel animal) quand bien même ces individus seraient « élevés » par l’homme. Le projet des industries OGM est totalement différent : il s’agit de reconstruire ces individus de nature, en modifiant leur code génétique, et non plus simplement de les domestiquer et de les croiser (ce qui, même si leur condition d’existence en faisait des êtres d’élevage, n’altérait pas leur animalité et donc leur complète altérité à l’endroit de l’être humain). Bref il s’agit d’une entreprise de radicale artificialisation (et donc d’appauvrissement) du monde qui, selon moi, est sans équivalent historique.