Analyse de différentes méthodes de problématisation

 

Analyse de méthodes utilisées dans les problématisations dissertation de philosophie en terminale

 

 

            Les réflexions didactiques sur la problématisation dans une dissertation de philosophie tendent à prendre une option plutôt théorique, en témoigne par exemple le dossier « Enseigner la problématisation » (Côté Philo, n°11, 2008). Cet article vise à répertorier et à analyser un ensemble de méthodes que l’on voit couramment enseignées dans les fiches de méthodologie ou pratiquées lorsque l’on lit des dissertations de philosophie.

 

1-      Trois formes de formulation du problème philosophique dans l’introduction d’une dissertation de philosophie.

 

Il est possible de répertorier au moins trois manières de formuler le problème dans une introduction de dissertation :

 

a)      La formulation sous forme d’un paragraphe explicatif

b)     La formulation sous formes de plusieurs questions successives

c)      La formulation sous forme d’une question centrale.

 

Il faut distinguer les types de formulation des méthodes de problématisation bien que les deux comme on va le voir soient liées.

 

2-      Différentes méthodes souvent employées

 

a) La méthode par questionnements successifs :

 

Cette méthode consiste à montrer que pour pouvoir répondre au sujet, il faut répondre à un certain nombre de questions dont les réponses posent des difficultés.

 

Ex: L’idéal de justice doit-il passer avant le respect de la loi ?

 

Cette question soulève un certain nombre d’interrogations pour pouvoir répondre au

sujet. Existe-t-il quelque chose comme un idéal de justice ? De quelles lois parle-t-on

lorsqu’on parle du respect de la « loi » ?

 

Cette méthode valorise la démarche de questionnement par rapport au sujet. La philosophie se caractériserait avant tout comme la capacité à s’étonner, à s’interroger par rapport à un sujet.

 

Avantage : Permet de dégager différents problèmes philosophiques qui peuvent être contenus dans un même sujet.

 

Inconvénient : La logique de ces questionnements est relative à chaque sujet. Il est possible ainsi de se demander pourquoi ces questions plutôt que d’autres, pourquoi ce nombre là de questions.

 

b) La problématisation par interrogation d’une évidence du  sens commun ordinaire. 

 

La méthode consiste à montrer que le sujet interroge une opinion du sens commun qu’il invite à examiner, voire à remettre en cause.

 

Ex: Ne travaillons nous que pour avoir des loisirs ?

 

Il semble évident de penser que nous travaillons pour nous payer des loisirs.

Mais une telle affirmation est-elle si évidente que cela.

Peut-on réduire le travail uniquement à cette fonction ?

 

Cette méthode semble impliquer plus spécifiquement un implicite philosophique rationaliste. Elle invite à interroger l’immédiateté de l’opinion par une réflexion rationnelle.

 

Inconvénient: Tous les sujets ne partent pas d’une remise en cause d’une opinion du sens commun.

 

c)La problématisation par le paradoxe

 

Ce type problématisation consiste dans le fait de repérer un paradoxe dans le sujet que l’on explicite pour en faire le problème philosophique du sujet. La thèse qui est donc présupposée par le sujet, à la différence du cas précédent, remet en cause le sens commun.

 

Para-doxa: c’est ce qui va contre l’opinion commune.

 

Ex: « Toutes les contraintes imposées par la société sont-elles des oppressions ? »

 

Il parait évident habituellement que les notions de contraintes et d’oppression sont 

des synonymes. Or le sujet semble supposer qu’il y aurait des contraintes qui ne seraient

pas des oppressions.

Peut-il y avoir des contraintes sociales qui ne soient pas des oppressions ?

 

Il est possible de remarquer que le production de paradoxes logiques est une activité ancienne de la philosophie : on peut ainsi citer les paradoxes de Zénon.

 

Le paradoxe peut constituer un défi pour la logique et donc la raison comme les paradoxes de la théorie des ensembles qui avaient causés des difficultés aux logiciens tels que Russel.

 

Le paradoxe s’il s’oppose à l’opinion immédiate peut du point de vue d’un raisonnement rigoureux se dissoudre. C’est le cas par exemple des paradoxes de la théorie de la relativité.

 

Inconvénient de cette méthode : Comme dans le cas précédent, il est possible que le sujet ne repose pas sur un paradoxe, il peut au contraire s’appuyer sur une position du sens commun.

 

d) La problématisation par une contradiction interne

 

Elle consiste à expliciter comment il y aurait une contradiction entre deux notions du sujet. En radicalisant cette méthode, cela peut aller jusqu'à montrer qu'il y aurait un paradoxe interne au sujet.

 

Ex: Sommes nous plus libres sans l'Etat ?

 

La liberté consiste au premier abord à pouvoir faire tout ce que je désir. L'Etat au contraire désigne une institution qui édicte des règles et qui les fait appliquer. Parmi celles-ci certaines limitent ma liberté. Il y aurait donc à première vue une contradiction entre la liberté et l'Etat. Mais cette contradiction est-elle réelle ou seulement apparente ? 

 

Cette méthode fait apparaitre qu'en un sens au moins, pour qu'il y ait problème philosophique, il faut que ces deux notions puissent être analysées comme en contradiction.

 

Limites: Cette méthode ne conduit à dégager qu'une acception possible des notions, celles où elles sont en contradiction. Il est possible de mettre en évidence une controverse théorique au sujet de cette méthode.

En effet, on peut penser que le problème philosophique apparait lorsque l'on saisit une contradiction réelle entre deux concepts.

Cette position peut apparaître comme discutable. Elle contient implicitement un réalisme des dénominations (cratylisme): soit c'est la réalité que ces deux notions se contredisent, soit c'est la réalité qu'elles ne se contredisent pas. Or la vérité ne peut être prédiquée d'un terme isolé, mais seulement d'une assertion.

Il est possible au contraire de considérer que la contradition entre ces deux notions est une thèse possible qui s'oppose à une thèse inverse sur le même sujet. Le problème philosophique ne serait pas le produit d'une contradiction réelle entre deux notions, mais d'une contradiction entre deux opinions. L'enquête philosophique viserait donc à déterminer laquelle de ces deux opinions est la plus justifiée, voire même à montrer qu'il faut produire une troisième thèse qui dépasse les limites des deux précédentes. 

Cette enquête s'effectue en testant la cohérence argumentative de chacune de ces thèses en analysant: a) sa cohérence interne b) en la confrontant à des faits empiriques c) en effectuant des hypothèses sur ses conséquences pragmatiques probables.  

 

En définitif, cette méthode peut apparaitre comme une version inaboutie de la suivante: 

 

e) La problématisation par deux thèses opposées :

 

La problématisation met en avant l’existence possible de deux thèses sur le même sujet.

Cette méthode repose implicitement sur le fait de remarquer que les notions d'un sujet de dissertation sont polysémiques. Les notions d'un sujet de philosophie peuvent être conceptualisées de manière différentes en fonction de conceptions philosophiques différentes.  

 

Ex: L’Etat a-t-il tous les droits ?

 

L’Etat a-t-il un pouvoir absolu qui ne peut-être contesté par aucun citoyens ou n’est-il institué qu’en vue de faire respecter les droits des individus ? 

 

La notion d'Etat fait problème relativement à la notion de la liberté car elle peut être conceptualisée de deux manières opposées: soit comme compatible, soit comme incompatible avec la notion de liberté, soit comme partiellement compatible.  

 

Cette forme de problématisation existe également depuis l’Antiquité à la fois chez les sceptiques et les sophistes.


Risque possible de cette méthode : En rester à l’opposition entre deux opinions sans remonter aux présupposés, ni les déconstruire.

 

f) La méthode aporétique

 

Elle consiste à montrer que la réponse positive aussi bien que la réponse négative à la question aboutie à des difficultés. L’objectif du développement est alors d’exposer les difficultés auxquelles conduisent ces deux voies et à proposer une solution permettant de sortir de l’aporie.

 

Ex : Reconnaître la vérité, est-ce renoncer à sa liberté de penser ?

La première thèse: “Si reconnaître la vérité, c’est renoncer à sa liberté de penser”, alors il faudrait admettre que l’on est plus libre en pensant quelque chose de faux ou en mentant qu’en énonçant une vérité.

La seconde thèse: Si on peut penser que “reconnaître la vérité, ce n’est pas renoncer à sa liberté de penser” est un énoncé qui pose problème, c’est parce qu’on l’on a l’impression que la vérité serait une contrainte extérieure qui nous empêcherait de penser ce que l’on veut.

On aboutie à une impasse qui fait apparaître un problème. Il s’agit bien d’une manière possible de formuler un problème, de problématiser. 

Cette méthode est utilisée depuis l’Antiquité par les philosophes sceptiques.

 

Inconvénient :  Elle peut être analysée comme une version étendue de la méthode précédente. Son inconvénient est qu’il n’est pas toujours facile de formuler de manière ramassée une aporie.

 

g) La problématisation par l’interrogation sur les présupposés du sujet: 

 

Cette méthode consiste à problématiser en interrogeant les présupposés contenus dans le sujet.

 

Ex: L’idéal de justice doit-il passer avant le respect de la loi ? 

 

Le sujet semble présupposer qu’il y aurait quelque chose comme un idéal de justice 

dont on se demanderait s’il est supérieur ou pas au respect de la loi. Néanmoins,

l’idéal de justice n’existe peut-être pas ? Par conséquent, la condition de possibilité

pour répondre au sujet est de répondre à ce problème.

 

Cette méthode conduit à s’interroger sur les conditions de possibilité implicites du sujet.

 

Inconvénient: Cette interrogation n’est pas toujours légitime, en particulier si elle est effectuée trop tôt, puisqu’elle peut conduire à ne pas prendre au sérieux le sujet. En effet, elle peut conduire à une déconstruction du sujet sans y répondre.

Par exemple, « la liberté consiste-t-elle à faire ce qui nous plaît ? ». Le sujet présuppose qu’il existe quelque chose comme la liberté. Le risque c’est de déconstruire la notion de liberté et de déclarer d’emblée le sujet nul et non avenu.

 

Remarque :  La combinaison possible de ces méthodes.

 

 

            Il est possible de remarquer qu’une problématisation peut combiner ces différentes méthodes.

 

Par exemple, c’est le cas dans le plan « thèse-antithèse-synthèse » :

 

1)      La thèse formule l’opinion du sens commun et son caractère problématique

 

2)      L’antithèse dépasse les limites de la première thèse, mais cette solution est également problématique.

 

3)       La synthèse dépasse l’aporie que forment la thèse et l’antithèse

 

La problématisation de ce plan combine donc idéalement les méthodes : a) de la remise en cause de l’opinion du sens commun b) de l’opposition des thèses sur le même sujet c) de la formulation aporétique.

 

Conclusion : 

L’intérêt de la méthode par opposition entre deux thèses me semble résider sur plusieurs points :

a)      par rapport à la méthodes par l’enchaînement de questions : les deux thèses qui s’opposent sur un sujet peuvent être reformulées selon une opposition philosophique classique : sens/raison, matière/esprit, nature/culture…

b)      par rapport à la méthode de la remise en cause de l’opinion du sens commun ou du paradoxe : tous les sujets peuvent être reformulés sous la forme de l’opposition entre deux conceptions possibles concernant un même sujet

c)      il est possible, comme on le montrera par ailleurs, de formaliser de manière objective les opérations logiques qui permettent à partir de cette méthode de problématiser un sujet. 

 

Enfin, cette méthode s’accorde avec la discussion intersubjective démocratique qui constitue la condition de possibilité de l’établissement d’un savoir justifié dans une théorie de la connaissance pragmatiste. 

 

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