Didactique de la dissertation de philosophie

Niveau: classes de terminale

 

Remarques générales sur la conception des sujets de type Bac:

 

a) Les sujets de dissertation au baccalauréat en philosophie sont principalement libellés sous la forme d'une question fermée, par conséquent sous la forme d'une question à laquelle il est possible de répondre: oui/non.

 

b) Ce type de formulation par rapport aux questions ouvertes, aux couples de notion, ou à une notion toute seule, présente l'avantage de guider davantage l'élève dans son travail de problématisation.

 

c) Un certain nombre de sujets interrogent une thèse dont la présupposition correspond à une position subjectiviste sensualiste. Ces sujets invitent les élèves à dépasser une opinion immédiate, correspondant à la subjectivité de la sensibilité empirique, pour s'orienter vers la médiation d'une réflexion de type rationaliste.

Dans d'autres sujets, la thèse présupposée et interrogée invite au contraire les élèves à une réflexion sur les limites du rationalisme.

 

d) Cette double orientation, implicitement critique à la fois du subjectivisme relativiste sensualiste et du matérialisme rationaliste, tend à favoriser les conclusions philosophiques de type idéaliste rationaliste, soucieuses de ménager à la fois une place à la science et à la religion, dans un soucis de pacification républicaine.

 

Remarques méthodologiques générales:

 

Il est possible d'établir avec les élèves la progression suivante:

 

a) Repérage de la thèse présupposée par le sujet

 

b) Établissement de la thèse et de l'antithèse qui répondent à la question posée par le sujet.

 

c) Travail de conceptualisation des notions, et en particulier de la notion à partir de laquelle problématiser le sujet

 

d) Formulation d'un problème philosophique à partir du travail de conceptualisation

 

e) Repérage des thèses qui répondent au problème philosophique. (En effet, les réponses « oui » ou « non » à la question recouvrent en réalité plusieurs thèses philosophiques possibles)

 

f) Construction d'un plan. Il est possible ici d'effectuer un travail en trois étapes: 1) Plan en deux parties: commencer par l'opinion immédiate subjective pour aller vers la thèse rationaliste 2) Travail sur les limites du rationalisme 3) Construction d'une troisième partie qui tente de dépasser les points faibles tout en conservant les points forts des deux premières thèses.

 

Exemple de travail sur un sujet:

 

Exemple de sujet: Faut-il dire la vérité ?

 

Question: Quelle est la thèse présupposée par le sujet ? C'est-à-dire quelle est la thèse qui est interrogée par le sujet ?

 

Réponse: « Il faut dire la vérité »

 

Question: Quelles sont les deux réponses que semblent appeler spontanément la question ?

 

Réponse: « Oui, il faut dire la vérité » et « Non, il ne faut pas dire la vérité »

 

Question: Quelle est la notion présente dans le sujet sur laquelle porte le problème philosophique ? (Pour trouver la notion, il est possible de transformer le sujet posé en question définitionnelle. La notion de vérité implique-t-elle dans son essence qu'elle doit-être « dite » ? Ce qui constitue un problème philosophique dans ce sujet, c'est l'essence de la vérité. Ce qui divise les philosophes, c'est la conceptualisation de la notion de vérité).

 

Réponse: La vérité

 

Question: Quelles relations peuvent être dégagées entre la notion du sujet et son attribut ? (Possibilité d'utiliser des diagrammes de Venn pour mettre en évidence les relations des deux éléments du sujet) Quelle est la relation entre la vérité et le fait de la dire dans le sujet tel qu'il est formulé ?

 

Réponse: La thèse présupposée dans le sujet même si elle n'introduit pas l'adverbe « toujours » semble impliquer qu'il faudrait toujours dire la vérité. En effet, à l'inverse, les thèses opposées pourraient être formulées sous la forme: « il faut parfois ne pas dire la vérité » ou « il ne faut jamais dire la vérité ».

 

Question: Que veut dire « faut-il ? » (Ex: Faut-il construire un pont pour traverser la rivière ? Faut-il construire des centrales nucléaires ? Faut-il tuer les personnes qui sont un poids pour la société ?...)

 

Réponse: Le terme « faut-il » renvoie à la fois à une question d'utilité technique et de légitimité morale.

 

Question: « Faut-il » est une tournure impersonnelle, mais à qui s'adresse implicitement le sujet ?

 

Réponse: La question se pose implicitement pour les êtres humains.

 

Il est possible à partir de là, pour aider les élèves, de présenter la progression de la problématisation du sujet sous forme d'un tableau:

 

Sujet

Thèse présupposée par le sujet

 

Antithèses possibles

Antithèses possibles

Faut-il dire la vérité ?

Oui, il faut dire la vérité.

 

Non, il ne faut pas dire la vérité

Non, il ne faut parfois pas dire la vérité.

La notion1

La vérité

 

La vérité

 

Définition de « x »/ contraire de « x »

(« x »= « faut-il dire »)

Faut-il:

- pertinence technique

- légitimité morale

dire (la vérité): exprimer ce qui est, la réalité

 

Ne pas dire (la vérité):

C'est dire ce qui est faux

- être dans l'erreur

- être dans le mensonge

 

Présupposés philosophiques de ces conceptualisations (il est possible de constater ici que les réponses « oui » ou « non » peuvent chacune recouvrir des positions aux présupposés philosophiques différents).

Possibilité de ramener le sujet à ses présupposés philosophiques élémentaires (sur les positions élémentaires en philosophie).

La recherche de la vérité tant du point de vue cognitif que moral est utile. Thèse qui repose sur un sujet sensible.

La recherche de la vérité tant du point de vue cognitif que moral est une obligation morale indépendante de l'utilité que l'on peut y trouver. Thèse qui repose sur un sujet intelligible, indépendant de tout intérêt sensible. 

La recherche de la vérité n'est pas une obligation morale transcendante. Elle est relative à l'utilité qu'on peut y trouver.

Thèse qui repose sur un sujet sensible.

Non seulement la recherche de la vérité dépend de l'utilité qu'on y trouve, mais la prétention même à dire la réalité en soi est une illusion. Thèse qui repose sur un sujet sensible

Limites de ces positions philosophiques

On peut se demander si l'erreur et le mensonge pourraient être davantage utiles que la vérité.

On peut se demander comment une recherche désintéressée de la vérité est possible.

Le relativisme conduit à des positions qui sont d'un point de vue logique incohérentes.

Peut-on se passer de la distinction entre apparence et réalité ?

 

Problème philosophique:


(Un problème philosophique peut-être construit à partir de l'opposition entre deux concepts de la notion. Ces deux concepts de la notion sont élaborés à partir du travail de définition et de détermination des différentes conceptions implicitement contenues dans le sujet). 

La vérité est-elle une valeur absolue à laquelle il faut se soumettre indépendamment de notre intérêt sensible

 

ou est-elle relative à nos intérêts ?

 

Proposition de Plan n°1-

Rationaliste idéaliste

I- Si l'on affirme que dire la vérité est relative à notre utilité de sujet sensible, alors dire la vérité ou mentir devient une valeur relative à notre intérêt.

(Morale utilitariste)


II- Au-delà, la relativité de la valeur morale de la vérité conduit à affirmer la relativité de la recherche de la vérité en tant que valeur épistémique.

(Nietzsche)

Or cette thèse conduit à un relativisme auto-réfutant.

III- Le moyen d'échapper au caractère contradictoire du relativisme touchant à la valeur de la vérité consiste à faire de la recherche de la vérité une valeur absolue, ayant un statut transcendantal, tant en tant que valeur morale qu'en tant que valeur épistémique. Dire la vérité ne dépend pas de notre intérêt, mais il s'agit d'une valeur absolue, d'une recherche désintéressée. (Rationalisme idéaliste: Kant)

 

Proposition de plan n°2

Pragmatiste

I- Dire la vérité est une exigence absolue et désintéressée qui ne dépend pas de notre intérêt relatif (Kant)

- Mais limite: comment un acte désintéressé peut-il être possible ? Ne s'agit-il pas d'une illusion ?

II- Dire la vérité est uniquement relatif à notre intérêt à la fois en tant que vérité théorique que dans la pratique.

Mais alors il serait possible d'affirmer que le mensonge et l'erreur pourraient nous être plus utiles que la vérité comme correspondance à la réalité (Nietsche)

- Mais limite: Peut-on supposer que ce qui soit contraire à la réalité puisse être véritablement utile à la conservation de soi.

III- Ce qui est véritablement utile ne saurait être contradictoire avec la réalité. Ce qui est utile est ce qui correspond à la réalité, et ce qui est correspond à la réalité est utile.

Donc dire la vérité est utile, mais il ne s'agit pas pour autant d'une valeur absolue désintéressée. C'est parce que la vérité est utile qu'elle est recherchée. Affirmer que l'erreur et le mensonge pourraient être utiles, cela consiste en une mauvaise compréhension de l'utilité (Pragmatisme philosophique)

 

 

N.B: Il est possible également en troisième partie de déconstruire le présupposé même du sujet. Il s'agit alors de produire une autre thèse philosophique que celles qui sont inclues dans la thèse et l'antithèse de la question du sujet. Ex: La technique conduit-elle à un progrès moral ou est-elle necessairement immorale ? Les sujets qui sont formulés avec un "ou" invitent bien souvent à déconstruire le présupposé du sujet. Dans ce cas, l'idée qu'il y aurait une valeur morale de la technique: celle-ci est peut-être neutre. Le problème de ce genre de sujet, c'est que le plan peut sembler parfois contraint: I- Thèse technophile; II- Thèse technophobe; III-Thèse sur la neutralité de la technique. 

 

Annexe: Mise en forme de la dissertation

 

Introduction:

 

Paragraphe 1:

- Amener le sujet à partir d'un exemple du sens commun, de l'histoire, de l'actualité ou de la littérature....(Evitez les phrases générales ou les références à des auteurs)

- Enoncer le sujet

Paragraphe 2:

- Définir les termes du sujet

- Analyser les relations entre les termes

- Formuler le problème philosophique

- Mettre en valeur les enjeux philosophiques du sujet

Paragraphe 3:

- Annoncer le plan adopté pour traiter le sujet

 

Sauter 4 lignes

 

Développement de la dissertation:

 

Structure d'une partie:

 

- Annoncer la thèse générale de la partie dans un chapeau

 

Sauter une ligne

 

- Structure d'un paragraphe: Un argument (et un seul), un auteur (maximum), un exemple.

 

Le paragraphe énonce un argument qui permet de soutenir l'idée défendue dans la partie.

 

(Si on reprend la structure du syllogisme pour expliquer la forme de l'argumentation aux élèves, il est possible de dire que le paragraphe doit comprendre au moins deux phrases qui constituent les prémisses du raisonnement afin de formuler un argument qui permette de conclure la thèse défendue dans la partie)

 

- L'usage d'une référence philosophique peut constituer un appui dans la formulation de la seconde prémisse.

- Chaque argument doit être illustré par un exemple qui montre que l'élève est capable d'en saisir la portée concrète.

 

Une partie comprend 2 à 4 paragraphes.

 

Sauter une ligne entre chaque paragraphe et deux lignes entre chaque partie.

 

- Transition: La transition doit énoncer la ou les limites philosophiques qui permettent de passer d'une partie à une autre, c'est-à-dire d'une thèse philosophique à une autre.

 

Sauter quatre lignes entre le développement et la conclusion:

 

Conclusion:

 

a) la conclusion rappelle le problème philosophique qui avait été formulé en introduction

b) elle rappelle également les principales étapes parcourues, ainsi que la solution philosophique à laquelle est parvenue la dissertation.

 

 

 

 

1 Il ne s'agit pas ici d'insister sur une définition in abstracto de la notion qui conduirait l'élève à prendre un dictionnaire de philosophie et à énoncer toutes les définitions philosophiques possibles de la vérité. Dans la progression suggérée ici, il s'agit d'amener l'élève à conceptualiser la notion en relation avec l'autre partie du sujet de la dissertation.  

 

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