Dardot Pierre et Laval Christian, La nouvelle raison du monde -

Essai sur la société néolibérale

La Découverte, 500 p., 13 euros


             Le philosophe Pierre Dardot et le sociologue Christian Laval proposent dans La nouvelle raison du monde une analyse de l’émergence et des caractéristiques du néolibéralisme. L’ouvrage s’organise en trois grands pans: le libéralisme classique, l’émergence du néolibéralisme et donc ce qui le distingue fondamentalement du libéralisme classique, l’analyse de la nouvelle rationalité néolibérale.

 

L’originalité de la position de ces deux auteurs consiste à analyser le néolibéralisme comme “la raison du capitalisme contemporain” (p.7). Ils définissent ainsi le néolibéralisme comme “l’ensemble des discours, des pratiques, des dispositifs qui déterminent un nouveau mode de gouvernement des hommes selon le principe universel de la concurrence” (p.6). En effet, le principe du marché néolibéral n’est pas selon eux l’échange, mais la concurrence. Une telle étude en termes de rationalité instaurant de nouvelles formes de gouvernementalité, et en particulier de gouvernement de soi, inscrit les analyses des auteurs dans la lignée de Michel Foucault. Ainsi, cette perspective sur le néobéralisme, qui insiste sur le type de rationalité que celui instaure sur les activités des acteurs, n’est pas sans nous faire penser aux approches wébériennes et à celles de l’Ecole de Franckfort. En tout cas, elle se distingue à la fois de celles qui réduisent le néolibéralisme à n’être qu’une idéologie, et de celles qui, spécifiquement matérialistes, analysent le néolibéralisme comme une phase particulière du capitalisme qui correspondrait à un certain état des moyens de production.

 

La seconde originalité de l’ouvrage est son insistance à battre en brèche la thèse qui avait pu être dominante dans une première phase de l’antilibéralisme à la suite de Pierre Bourdieu et qui voyait dans les politiques néolibérales une diminution de l’Etat, en tout cas sous sa forme d’Etat social. Les deux auteurs insistent sur l’influence de l’ordolibéralisme dans l’émergence du néolibéralisme. Ce courant “né dans les cercles intellectuels en opposition au nazisme [...] est ainsi une doctrine de transformation sociale qui en appelle à la responsabilité des hommes” (p.188). Sa conception de l’Etat se distingue fortement de celle du libéralisme classique en ne lui assignant pas uniquement un rôle de veilleur de nuit, mais en considérant l’intervention de l’Etat comme nécessaire à la constitution et au maintien du cadre du marché concurrentiel. Les auteurs examinent en particulier les liens entre ces courants et la Troisième voie sociale-libérale et la construction européenne.

Une analyse du néolibéralisme qui mette en valeur l’importance du rôle de l’Etat s’avérait en effet fortement nécessaire à la lumière de l’intervention des Etats dans le sauvetage du système bancaire lors de la crise du subprimes en 2008. Pour les deux auteurs, il ne s’agit pas d’un renforcement de l’intervention de l’Etat ou d’un tournant, mais d’une continuité avec les principes même du néolibéralisme. En cela, ils s’opposent également aux thèses postmodernes qui avaient pu interpréter la phase néo-libérale du capitalisme comme correspondant à une disparition des Etats au profit de nouvelles formes de gouvernance supra-étatiques.

Un des points que mettent en valeur les auteurs, c’est que les réformes néo-managériales de l’Etat, si elles ne visent pas à en diminuer l’intervention, transforment profondement la nature de celui-ci, en effectuant le passage de l’Etat bureaucratique, étudié par Weber, à un Etat dont le modèle organisationnel serait l’entreprise.

 

Troisième élément qu’il nous semble important de mettre en valeur concernant cet ouvrage, c’est l’analyse qu’effectuent les deux auteurs du type de subjectivisation et de gouvernement de soi que produit le néolibéralisme. En effet, en s’appuyant sur les apports de la philosophie de Michel Foucault et sur le travail empirique de la psychosociologie clinique du travail, ils mettent en valeur ce qui leur paraît être les principales caractéristiques du “sujet néolibéral”. Il est possible d’en mentionner deux éléments. D’une part, le sujet est encouragé à se transformer en entrepreneur de lui-même. D’autre part, les idéaux d’autonomie fonctionnent en réalité comme des injonctions à l’autonomie, des contraintes sous une apparence de liberté.

 

La nouvelle raison du monde de Pierre Dardot et Christian Laval est un ouvrage qui s’est rapidement imposé comme une référence de l’analyse du néolibéralisme par la synthèse foisonnante qu’il opère sur le sujet !

 

      Irène Pereira

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